Le PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, a une fois de plus montré ses talents de fin stratège en se servant d'une commande d'avions que Bombardier attendait désespérément pour se débarrasser d'un boulet qui hantait la compagnie aérienne depuis 2012 : le dossier Aveos.

Au siège social d'Air Canada, près de l'aéroport Montréal-Trudeau, on a très mal réagi quand la Cour d'appel a donné raison au gouvernement du Québec dans cette affaire, l'automne dernier. Confirmant un jugement de la Cour supérieure, le tribunal a conclu qu'Air Canada avait violé sa loi constituante en transférant majoritairement à l'étranger les activités d'entretien lourd de ses avions, ce qui avait mené à la faillite de son ancienne filiale et à la perte de 1700 emplois dans la région de Montréal. Air Canada craignait comme la peste d'être déboutée en Cour suprême.

« Nous sommes très satisfaits d'avoir réglé cette poursuite Aveos et l'incertitude qu'elle aurait pu susciter », a ainsi déclaré M. Rovinescu mercredi, au moment d'annoncer une entente avec le gouvernement. Dans cet accord, Québec promet de laisser tomber sa poursuite en échange d'un engagement écrit d'Air Canada d'effectuer au Québec l'entretien lourd de ses futurs avions C Series pendant au moins 20 ans.

La volonté d'en finir avec le dossier Aveos a aidé Air Canada à surmonter ses réticences de longue date à l'égard de la C Series de Bombardier. Mais comme le transporteur a obtenu un très bon prix pour des appareils encensés par les spécialistes, personne ne lui en voudra de ne pas avoir choisi des Embraer ou des Boeing. En prime, Air Canada a gagné quelques points dans l'opinion publique.

UN MILLIER D'EMPLOIS ?

De son côté, le gouvernement Couillard tenait à donner un autre coup de pouce à la C Series, qu'il voit comme l'avenir de l'industrie aéronautique québécoise. La ministre de l'Économie, Dominique Anglade, soutient qu'un « centre d'excellence mondial » de maintenance d'avions C Series pourrait employer au moins 1000 personnes à terme, à condition toutefois que d'autres compagnies aériennes fassent appel à lui en plus d'Air Canada.

Selon Mme Anglade, même si Québec avait gagné en Cour suprême, il est loin d'être certain qu'Air Canada aurait rapatrié ici l'entretien lourd de ses avions, qui est principalement effectué au Minnesota depuis 2012.

Et que dire des 1700 ex-salariés d'Aveos ? « La grande majorité d'entre eux, si ce n'est pas la totalité, se sont replacés », a insisté la ministre. David Chartrand, de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, n'en est pas si sûr. Environ 200 ex-employés ont été embauchés par les firmes Lockheed Martin et AJW, qui ont repris une partie des activités d'Aveos. Quelques dizaines d'autres sont allés chez Premier Aviation, Avianor ou Bombardier, alors que certains ont opté pour une retraite anticipée. « Mais ce n'est pas vrai que tout le monde s'est retrouvé du boulot », dit M. Chartrand.

Le premier ministre manitobain, Greg Selinger, a indiqué hier que son gouvernement négociait actuellement avec Air Canada dans le but de récupérer en tout ou en partie les quelque 400 emplois d'Aveos perdus à Winnipeg en 2012. « Si on réussit à s'entendre sur un nombre raisonnable d'emplois », la province pourrait elle aussi envisager d'abandonner sa poursuite contre Air Canada, a affirmé M. Selinger à La Presse Affaires.

Dans le milieu de l'aéronautique, on voit mal comment le jugement d'un tribunal aurait pu faire renaître l'entretien lourd d'aéronefs au Québec. « Ç'aurait été comme de l'acharnement thérapeutique de tenter de relancer des activités dans lesquelles nous n'étions plus concurrentiels », a estimé Mme Benoît. 

Isabelle Dostaler, professeure à l'Université Concordia, a quant à elle souligné que l'engagement d'Air Canada allait permettre au Québec d'acquérir un savoir-faire de pointe dans la maintenance d'avions faits de matériaux composites.