Alors que Québec presse le gouvernement Trudeau de lui emboîter le pas en donnant aussi un coup de pouce financier à Bombardier, le ministère de l'Industrie a entre ses mains depuis novembre dernier une analyse approfondie détaillant les besoins financiers à court et à moyen terme de ce fleuron québécois.

Cette analyse, qui a été réalisée par la firme Deloitte à la demande du ministère de l'Industrie, visait aussi à évaluer les ventes potentielles des avions C Series. Le rapport a été remis au ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique (autrefois connu comme le ministère de l'Industrie) Navdeep Bains, le 10 novembre dernier.

Selon des informations obtenues par La Presse, l'analyse et les recommandations de Deloitte sont jugées « cruciales » pour déterminer s'il est dans l'intérêt public qu'Ottawa délie les cordons de sa bourse pour voler à son tour au secours de Bombardier.

Le gouvernement Trudeau dispose donc d'un portrait d'ensemble de l'état de santé financière de la multinationale. Le Ministère a toutefois refusé de divulguer à La Presse jeudi les conclusions de la firme Deloitte sous prétexte que l'analyse contient « des renseignements commerciaux confidentiels ».

DISCUSSIONS EN COUR

« Le gouvernement fédéral a entrepris des discussions avec Bombardier pour faire le point sur la situation de l'entreprise et sur ses priorités et une décision sera prise en temps opportun. Comme le ministre l'a indiqué, tout investissement fédéral doit être appuyé par une présentation d'affaires solide et toute aide financière devra donc être apportée dans l'intérêt primordial des Canadiens », a indiqué Stéfanie Power, porte-parole du ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique.

En octobre dernier, le gouvernement du Québec a décidé d'injecter 1 milliard US dans Bombardier afin de lui permettre de mener à bien son coûteux programme de la C Series.

Quelques jours après avoir annoncé l'investissement de Québec, le ministre québécois de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations, Jacques Daoust, avait exhorté le gouvernement libéral nouvellement élu de Justin Trudeau à en faire autant.

« Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fédéral, qui est intervenu dans l'industrie automobile en Ontario, avec le gouvernement de la province - à juste titre, parce que c'est une industrie qui est importante -, n'interviendrait pas aussi dans ce cas », avait déclaré M. Daoust le 3 novembre, la veille de la prestation de serment du gouvernement Trudeau.

Dans des notes de breffage remises au premier ministre Justin Trudeau sur l'avenir de Bombardier et obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, les hauts fonctionnaires soulignent à grands traits l'importance de cette entreprise pour l'économie canadienne.

« Bombardier constitue un pilier essentiel de l'industrie aérospatiale canadienne. L'entreprise représente un chef de file mondial de la conception et de la fabrication de produits novateurs dans le secteur de l'aviation et le troisième constructeur en importance d'aéronefs civils dans le monde », peut-on lire dans ces notes rédigées à l'intention du premier ministre.

UNE INDUSTRIE IMPORTANTE

On fait aussi valoir que les gouvernements doivent donner un coup de pouce à ce genre d'entreprises pour qu'elles demeurent concurrentielles. « Dans une économie mondiale de plus en plus compétitive, où ces secteurs stratégiques bénéficient d'un important soutien gouvernemental, l'aérospatiale est souvent perçue comme une industrie où il faut être prêt à investir pour être un joueur clé », ajoute-t-on.

Interrogé à ce sujet, jeudi, le ministre Navdeep Bains a indiqué que le gouvernement fédéral poursuit sa réflexion sur le versement d'une aide financière à Bombardier.

« Nous continuons d'examiner le dossier commercial, nous continuons notre vérification diligente », soutient M. Bains.

Le ministre a reconnu l'importance du secteur aérospatial, qui représente des revenus de 29 milliards et 80 000 emplois pour l'ensemble du Canada. Environ 40 000 de ces emplois se retrouvent dans la région du Grand Montréal.

Dans les rangs libéraux, on convient volontiers que le gouvernement fédéral peut difficilement faire la sourde oreille à la demande de Bombardier après avoir investi des milliards de dollars pour soutenir l'industrie automobile de l'Ontario en pleine déroute après la crise financière mondiale de 2008.

« L'industrie de l'aérospatiale est aussi importante, sinon plus importante pour le Québec que l'industrie automobile l'est pour l'Ontario. Alors, il est évident que l'on ne peut pas faire la sourde oreille. Mais il faut quand même faire nos devoirs avant de prendre une telle décision », a-t-on affirmé.

- Avec William Leclerc et Marie Tison

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains