L'industrie aéronautique a dû revoir ses attentes à la baisse.

«Il y a une dizaine d'années, la nanotechnologie, c'était vu comme la prochaine révolution, se rappelle François Provencher, directeur du Bureau de collaboration technique chez Pratt&Whitney Canada (P&WC). De façon générale, ce n'est pas une révolution, c'est une évolution. Ça devient un outil technologique de plus dans notre boîte à outils.»

Le bilan que dresse Pascal Hubert, professeur au département de génie mécanique de l'Université McGill, est plus sévère. «Il y a eu beaucoup d'attentes de la part des entreprises, mais on n'a pas vraiment livré la marchandise en ce qui concerne les matériaux destinés à la fabrication de pièces», déclare-t-il.

En aéronautique, les nanotechnologies peuvent avoir plusieurs applications, notamment lorsqu'elles sont utilisées avec les matériaux composites. Ces derniers sont de plus en plus utilisés en aéronautique pour alléger les appareils et ainsi réduire leur consommation de carburant et leurs émissions polluantes.

«Les nanoparticules peuvent être utilisées pour améliorer les propriétés mécaniques des matériaux composites», indique Benoît Balmana, président de NanoQuébec.

On parle notamment d'améliorer la robustesse et la rigidité des matériaux composites, notamment avec l'introduction de nanotubes de carbone dans les résines qui lient les tissages de fibres de carbone.

«En laboratoire, cela donnait des propriétés exceptionnelles: c'était cinq fois plus rigide que l'acier, avec une résistance très élevée, affirme Daniel Therriault, professeur au département de génie mécanique à Polytechnique. Mais tout le processus de mélange et de mise en forme est extrêmement complexe, et les gains au point de vue performance mécanique sont assez modérés.»

Vincent D'Arienzo, ingénieur aérospatial et responsable des matériaux et procédés chez Bell Helicopter Textron Canada, compare ce type de recherche et développement à ce qui se passe dans le secteur pharmaceutique.

«Il faut essayer cinq mille choses pour en voir deux ou trois fonctionner, et alors, le gain est énorme, ça change totalement la donne», affirme-t-il.

Protection contre la foudre

Une application semble particulièrement prometteuse, soit la protection contre la foudre.

Daniel Therriault dirige un projet de recherche sur une telle application dans le cadre du Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ) avec Bell Helicopter, Bombardier et 3 M. Il explique que les matériaux composites ont une faible conductivité: ils ne peuvent donc pas évacuer les très hauts courants électroniques comme peuvent le faire les structures métalliques.

«Présentement, l'industrie aéronautique surmonte la faible conductivité électrique des composites en ajoutant un grillage métallique par-dessus les structures, à l'intérieur d'un film de polymère, indique-t-il. Ça fonctionne très bien, les avions sont sécuritaires, c'est certifié, mais c'est lourd et ça nuit à la performance de l'avion.»

Les partenaires travaillent donc sur des revêtements qui font appel aux nanotechnologies pour améliorer la conductivité des structures en matériaux composites.

«Nous sommes dans la troisième année de notre projet, nous essayons notamment d'optimiser les paramètres de fabrication pour en faire quelque chose de plus facile à fabriquer et à appliquer», note M. Therriault.

Les revêtements de surface apprêtés aux nanotechnologies pourraient avoir d'autres applications.

«Nous espérons que les nanotechnologies vont nous donner des revêtements de surface qui vont réduire le frottement dans l'air et, donc, réduire la traînée de l'avion et la consommation de carburant, indique Fassi Kafyeke, directeur de la technologie stratégique et de la conception avancée chez Bombardier. Nous espérons aussi avoir des revêtements sur les ailes qui vont réduire l'accumulation d'eau et de glace pour abaisser les demandes de dégivrage.»

P&WC met également beaucoup d'efforts dans le domaine des revêtements.

«En utilisant des particules plus petites, on peut optimiser la structure cristalline du revêtement, ce qui permet d'avoir moins de défauts et, dans certains cas, d'améliorer l'adhérence du revêtement sur le substrat», explique François Provencher.

Le défi, c'est de s'assurer de la qualité à l'échelle industrielle et de mettre en place des méthodes d'inspection appropriées. Tout cela en veillant à ce que le résultat se traduise par une réelle valeur ajoutée pour le client.

«On ne va pas mettre des technologies juste pour le plaisir», lance M. Provencher.

Certification

L'autre grand défi, c'est de faire certifier le résultat auprès de Transports Canada ou de la Federal Aviation Administration (FAA).

«Il faut que les autorités de certification soient satisfaites, note M. Kafyeke. Il faut que la technologie ne pose aucun risque, par exemple en termes d'inflammabilité. Est-ce que ça donne des fumées toxiques?»

Tout ce processus est très long et coûte très cher. Parfois, le jeu n'en vaut pas la chandelle.

«Les nanotechnologies, ce n'est pas une grosse part de nos dépenses en recherche et développement, indique Vincent D'Arienzo, de Bell Helicopter. Nous développons des appareils, nous ne sommes pas spécialisés en résine ou en revêtement. On ne peut pas tout faire, il y a des priorités. C'est comme avoir une maison: quand vous devez réparer le toit, ce n'est pas le temps de poser de nouvelles fenêtres.»

Il est donc difficile d'introduire de nouvelles technologies en aéronautique.

«Il y a une certaine inertie parce que les coûts de certification sont exorbitants», soupire Pascal Hubert, de McGill.

Son collègue de Polytechnique abonde dans le même sens. «L'aéronautique, c'est conservateur dans son innovation», laisse-t-il tomber.

Qu'est-ce que la nanotechnologie?

La nanotechnologie, c'est la fabrication et la manipulation de structures d'une dimension pouvant aller de 1 à 1000 nanomètres. Un nanomètre représente un milliardième de mètre. Une feuille de papier journal a une épaisseur d'environ 100 000 nanomètres.

La nanotechnologie a pris son essor avec l'invention de microscopes puissants au début des années 80, soit le microscope à effet tunnel et le microscope à force atomique.