Les entreprises de camionnage au Québec s'apprêtent à attaquer de front, de concert avec les corps policiers, les réseaux criminels qui commettent des vols de cargaisons, causant des pertes annuelles pouvant frôler les 2 milliards, a appris La Presse Affaires.

Les camionneurs viennent d'obtenir l'assurance qu'ils seront appuyés par le Service du renseignement criminel du Québec (SRCQ), la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Cette stratégie prendra la forme d'un programme provincial de déclaration de vol de cargaison et impliquera la collaboration étroite de l'Association du camionnage du Québec (ACQ) et du Bureau d'assurance du Canada (BAC).

«Ça fait des années qu'on se fait voler nos cargaisons, mais là, on juge que le temps est venu d'agir, confirme le PDG de l'Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux. On ne se contentera plus de prendre les petits voleurs, ceux qu'on appelle les runners dans notre jargon. On vise la tête, le haut de la pyramide, ceux qui tirent les ficelles.»

Selon lui, le Québec est «précurseur» dans la lutte contre les réseaux criminels, au même titre que l'Ontario.

Transmission de renseignements

Marc Cadieux ne cache pas, cependant, que le succès de l'opération dépendra fortement du niveau de collaboration des transporteurs routiers. «On va leur permettre de faire une déclaration en ligne, sous le sceau de la confidentialité, pour rapporter le vol de leur cargaison.»

Il précise que le BAC agira à titre de centre de renseignements et transmettra les renseignements à un réseau national de partenaires d'application de la loi, dont les agences frontalières canadiennes et américaines.

«Ça fait des années qu'on veut attacher tous les fils ensemble pour mener une action concertée, et cette fois, ça y est, se réjouit Marc Cadieux. Tous vont y trouver leur compte: les camionneurs, qui retrouvent leurs remorques vides dans un truck stop, et les assureurs, qui peuvent espérer réduire le montant des réclamations.»

Un fléau

Pour sa part, Normand Bourque, coordonnateur à l'ACQ, n'hésite pas à qualifier cette criminalité de «fléau» difficile à neutraliser.

Faut-il comprendre que les réseaux criminels pourraient placer des taupes à l'intérieur même des entreprises de camionnage pour préparer leurs mauvais coups?

«Ce n'est pas la lecture qu'on en fait, répond-il. Il n'est pas impossible que des informations puissent être communiquées de l'intérieur, dit-il, mais dans la majorité des dossiers, d'après ce qu'on nous dit, les vols sont bien planifiés, et les réseaux savent où et comment trouver la marchandise», soumet Normand Bourque.

«Les vols sont commis en fonction de la demande, ajoute Marc Cadieux. On va voler des citernes quand le prix des métaux est élevé, on va tenter de voler un camion-remorque de 53 pieds rempli de 2000 ordinateurs avant les Fêtes. Et les camions de la Société des alcools du Québec sont souvent ciblés.»

Chose certaine, les voleurs de grand chemin ont recours à une multitude de stratagèmes. «Les moyens utilisés sont variés et imaginatifs, mais les voleurs ne prennent pas le camionneur en otage pour s'emparer de la cargaison», résume Marc Cadieux.

Des exemples concrets?

«On brise une clôture, dans la cour d'un transporteur, et on accroche la remorque numéro 332 au camion en sachant très bien ce qu'elle renferme, précise-t-il. On se rend au port de Montréal et on va chercher un conteneur en présentant de la fausse documentation. Ou encore: le voleur se présente chez le client avec de faux papiers et on retrouve la remorque vide.»

Il y a une dizaine de jours, un transporteur de la région de Montréal a constaté que ses clôtures avaient été «forcées». Dans sa cour, il y avait de la marchandise de grande valeur, dans des remorques...

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L'INDUSTRIE EN CHIFFRES

5 MILLIARDS

Coût associé au vol de cargaisons (dans le camionnage, au Canada), selon une étude du Bureau d'assurance du Canada (2011).

3

Trois villes ciblées par les réseaux criminels : Montréal, Toronto et Vancouver.

700

Le nombre de transporteurs routiers membres de l'Association du camionnage du Québec, qui représente 75% de l'industrie. Il y a plus de 100 000 camions lourds immatriculés au Québec.

3,8 MILLIARDS

Le produit intérieur brut de l'industrie du camionnage au Québec.

Sources : ACQ et BAC