Le gouverneur de l'État de São Paulo a annoncé la création d'une commission d'enquête indépendante pour faire la lumière sur des allégations voulant qu'un cartel d'une dizaine de multinationales ferroviaires, dont Bombardier Transport selon le journal brésilien Folha de São Paulo, ait fixé à la hausse le prix des contrats ferroviaires pour ensuite se les partager.

Cette commission s'ajoute à une enquête criminelle des autorités brésiliennes ouverte il y a quelques semaines.

La justice n'a mentionné aucun nom d'entreprise, mais des médias nationaux citent la française Alstom, la québécoise Bombardier, l'espagnole CAF, la japonaise Misui et l'allemande Siemens.

C'est Siemens qui serait passée aux aveux en révélant aux autorités l'existence de ce supposé cartel. L'entreprise se serait assurée d'une immunité auprès de la justice brésilienne avant de fournir aux enquêteurs les preuves de ce qu'elle avance.

Au total, un peu plus de 45 contrats accordés dans les villes de São Paulo et Brasilia entre 1999 et 2009 seraient maintenant sous la loupe des enquêteurs.

Toujours selon le Folha de São Paulo, au moins six contrats révèlent jusqu'à présent des irrégularités qui prouvent l'existence de ce cartel dans l'achat d'équipements ferroviaires, de même que pour la construction et l'entretien de lignes de métro et de trains de banlieue.

«Je peux seulement dire qu'en vertu des documents que nous avons reçus, il y a effectivement des preuves solides de la formation d'un cartel criminel de fraude dans les appels d'offres», a déclaré vendredi le procureur Marcelo Mendroni.

Documents embarrassants

D'après le journal O'Globo, parmi les documents remis aux autorités brésiliennes par Siemens, se trouve une entente de non-concurrence entre des multinationales qui se disputaient les contrats ferroviaires de São Paulo et du district fédéral de Brasilia. Toujours selon le quotidien, la signature des dirigeants ou représentants de certaines des entreprises y est clairement apposée. La publication ne cite pas le nom de Bombardier Transport.

En vertu de cette entente, les compagnies impliquées se seraient consultées non seulement pour revoir à la hausse les appels d'offres des ouvrages, mais aussi pour se les partager entre elles.

Des fonctionnaires publics et même certains gouverneurs de l'État de São Paulo et du district fédéral de Brasilia auraient trempé dans le cartel, contre le versement d'une «quote-part».

Ces ententes illicites «portent sur des millions, peut-être même des milliards de reais», a précisé le procureur, qui a insisté sur la gravité des faits avancés (1$ CAN vaut 2,21 reais).

«Quand on s'adonne à un cartel, qui est le crime le plus grave contre la concurrence, ainsi qu'à la fraude dans des appels d'offres, nous nous devons de traiter ces entreprises comme des organisations criminelles», a-t-il lancé.

Hier soir, le réseau de télévision Globo a rendu publiques des copies de courriels datant du 24 novembre 2004 où un ancien employé de Siemens raconte, deux jours avant l'annonce d'un appel d'offres visant la modernisation de trains à Sao Paulo, que «les différentes rénovations et modernisations devraient être attribuées à plusieurs fournisseurs. L'objectif principal de la Compagnie paulista de trains métropolitains (CPTM) est d'accorder le package complet aux quatre principaux fournisseurs (Alstom, Siemens, Bombardier et Ttrans)», écrit-il.

Il poursuit en affirmant «qu'actuellement, des réunions sont organisées avec les quatre sociétés mentionnées ci-dessus pour s'assurer des meilleures conditions afin que la compétition se déroule sans heurts», rapporte le réseau.

Le 4 juillet dernier, les enquêteurs se sont présentés dans les bureaux de Bombardier à Hortolandia, en banlieue de São Paulo, pour y saisir des documents.

Douze autres multinationales du domaine ferroviaire ont également reçu la visite des enquêteurs le même jour.

Le géant québécois a affirmé n'avoir participé à aucun des 6 contrats qui révèlent des irrégularités, contrairement à Alstom qui aurait pris part à au moins trois de ces contrats.

S'ils sont reconnus coupables d'avoir participé à un cartel illégal, les hauts dirigeants des multinationales impliquées pourraient faire face à des peines d'emprisonnement allant de 20 à 45 ans.

Une manifestation est prévue mercredi à São Paulo pour dénoncer ces révélations et réclamer la réduction des tarifs de transport en commun.

C'est d'ailleurs dans cette ville qu'ont commencé les manifestations monstres qui se sont propagées à la grandeur du Brésil il y a quelques semaines, en raison justement de l'annonce d'une hausse du tarif du transport en commun.

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Bombardier nie catégoriquement

Bombardier Transport s'est défendue d'avoir participé à quelque cartel que ce soit et a promis de prêter son entière collaboration à l'enquête des autorités brésiliennes, hier, au cours d'une entrevue avec La Presse.

Le porte-parole Luis Ramos, responsable des communications pour l'Amérique du Sud, a fait valoir que Bombardier n'était pas directement visée par le parquet de São Paulo.

«Il s'agit d'une enquête sur toute l'industrie, pas spécifiquement sur Bombardier. Environ 16 entreprises font partie de l'enquête -virtuellement toutes [les entreprises ferroviaires qui font affaire au Brésil]», a expliqué M. Ramos. «Nous voulons offrir notre entière collaboration et nous voulons que la vérité soit rendue publique.»

Selon M. Ramos, Bombardier n'a jamais été accusée de faire partie d'un cartel de toute son histoire où que ce soit sur la planète. «Les cartels ne font pas partie de nos pratiques d'affaires», a-t-il assuré.

Luis Ramos n'a pas voulu aborder le fond des allégations qui pèsent sur l'industrie brésilienne du ferroviaire, par crainte de nuire à l'enquête.

Le porte-parole a toutefois fait valoir que l'entreprise canadienne n'est arrivée au Brésil qu'en 2001, soit deux ans après le début de la période qui fait l'objet de l'enquête. Le plus grand pays d'Amérique du Sud ne constitue pas un grand marché pour Bombardier, a ajouté M. Ramos, établi à Lisbonne.

- Avec Philippe Teisceira-Lessard, La Presse