Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un « cas pédagogique » du Centre de cas de HEC Montréal : la description en contexte d'une situation réelle d'entreprise qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.

Au début des années 2000, la Société de transport de Montréal (STM) faisait des représentations auprès du gouvernement québécois afin de renouveler une partie de sa flotte de wagons de métro, soit les 336 voitures entrées en service en 1966. La participation financière du gouvernement du Québec - et donc son engagement actif dans le dossier - était inévitable, compte tenu de l'ampleur des investissements en cause. Au printemps 2006, de concert avec les dirigeants de la STM, le gouvernement du Québec annonçait le projet de renouvellement des wagons de métro et, devant l'urgence d'agir, il retenait la formule d'une négociation de gré à gré avec la société Bombardier Transport. Se sentant lésée par la procédure retenue, la société française Alstom a demandé à la Cour d'invalider cette approche. En janvier 2008, la Cour a rendu son jugement en faveur du manufacturier français. À l'été 2008, un appel d'offres international fut lancé. À la fermeture de la période de soumissions, une seule proposition fut déposée, celle du consortium formé d'Alstom et de Bombardier. La STM a rejeté cette offre unique : officiellement, des requêtes pour informations n'avaient pas été bien remplies, mais officieusement, il semblait que le prix demandé était nettement supérieur au prix cible, soit environ 1,2 milliard de dollars. À la fin de l'hiver 2009, le gouvernement du Québec a autorisé la STM à amorcer des négociations de gré à gré avec ce consortium.

Commande gonflée

Au milieu de l'été, les rumeurs ont commencé à circuler comme quoi le contrat prendrait une envergure extraordinaire, soit la livraison d'au moins 765 voitures, ce qui inclurait également les voitures entrées en service au début des années 70. Le contrat contiendrait aussi une option pour 270 voitures supplémentaires, afin de répondre aux besoins découlant des éventuels projets de prolongement du métro de Montréal.

De crainte que l'importante modification dans les quantités commandées n'entraîne des recours juridiques de la part de fournisseurs potentiels, le gouvernement du Québec a annoncé en janvier 2010 qu'un avis d'intention serait lancé sur le marché international. Les entreprises auraient 30 jours pour indiquer leur intérêt et prouver qu'elles avaient les capacités techniques et financières d'assembler des wagons de métro dotés de pneumatiques. À quelques jours de l'échéance, la société espagnole Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) a manifesté son intérêt. Finalement, le 13 juillet 2010, le conseil d'administration de la STM a décidé de lancer un nouvel appel d'offres international.

Fin septembre 2010, un nouveau revirement survient: Transports Québec demande officiellement à la STM de reporter d'une semaine l'appel d'offres international qu'elle devait lancer, afin de donner le temps au gouvernement de conclure une entente avec le consortium Alstom-Bombardier. Le 6 octobre 2010, le gouvernement dépose devant l'Assemblée nationale le projet de loi 116 encadrant cette entente.

Ces événements soulèvent de nombreuses questions tant pour les gestionnaires en approvisionnement que pour les pouvoirs publics. Du côté de l'approvisionnement, il y a une volonté de rendre cette fonction plus stratégique par une contribution qui dépasse la simple recherche du plus bas soumissionnaire conforme. La perspective stratégique vise aussi à tenir compte de l'environnement de l'organisation. Dans le secteur public, le cadre réglementaire peut limiter les initiatives prises par un gestionnaire en approvisionnement. L'expérience du métro de Montréal nous rappelle que les pouvoirs publics peuvent aussi intervenir et limiter la mise en oeuvre d'une stratégie d'approvisionnement cohérente.

Mais les politiciens peuvent souhaiter intervenir pour prévenir certaines critiques. Dans le récent dossier de l'attribution de contrats de construction navale par le gouvernement fédéral, ce dernier s'est fait critiquer par les promoteurs du chantier naval qui n'a pas obtenu de contrat, alors que des spécialistes de l'administration publique ont salué le caractère transparent et équitable de la démarche d'attribution de ces importants contrats.

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Les leçons à tirer

Quelques interrogations

> Quelles sont les différences entre les secteurs public et privé qui peuvent influer sur les stratégies d'approvisionnement?

> Quels principes devraient primer dans l'approvisionnement public: l'apparence d'équité entre les fournisseurs ou les retombées économiques?

> Quels sont les critères juridiques qui devraient être respectés pour amorcer une négociation de gré à gré pour le matériel de transport en commun?

Des éléments de réponse

> Les achats publics se démarquent des achats réalisés dans le secteur privé par la nécessité de suivre une réglementation qui cherche à offrir un traitement équitable à tous les fournisseurs, tout en se conformant aux traités nationaux ou internationaux d'ouverture des marchés publics à des fournisseurs étrangers. Lors de son action en justice, Alstom a clairement construit sa défense sur le traitement inéquitable dont elle avait fait l'objet.

> Il y a une différence fondamentale entre la démarche mise de l'avant par la STM et celle qu'une entreprise privée aurait adoptée. Cette dernière aurait vraisemblablement tenté de tirer parti des circonstances favorables pour soutirer davantage de bénéfices de son fournisseur; après tout, c'est une question, ici, de qui a le plus de pouvoir. L'acheteur public ne peut pas toujours tirer parti des événements, car son action est balisée par un cadre réglementaire et les délais - incluant ceux de réaction - sont souvent plus longs.

> Deux logiques peuvent devenir conflictuelles. D'un côté, l'administration publique recherche le bien commun par une gestion transparente des fonds publics. De l'autre, les intervenants politiques souhaitent être réélus et, dans cet esprit, ils cherchent à privilégier des retombées significatives pour des clientèles ciblées qui les soutiendront, alors que les coûts de ces mesures seront souvent distribués à de plus vastes pans de la population (ou aux générations futures sous forme de dette).

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Jean Nollet (jean.nollet@hec.ca) est professeur titulaire du Service d'enseignement de la gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. Il est également titulaire de la Chaire de gestion des approvisionnements à HEC Montréal.

Martin Beaulieu (martin.beaulieu@hec.ca) est professionnel de recherche au Service d'enseignement de la gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal.

Vous trouverez la version intégrale du cas « Le renouvellement des voitures du métro de Montréal » à l'adresse www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.