Connaître le succès avec une PME est un défi de tous les jours. Qu'importe les employés qualifiés, les produits innovants, la «niche» ciblée et les années d'expérience, tout ça s'avère inutile quand on ne parvient pas à décrocher de nouveaux contrats. Parlez-en à Doorspec, de La Prairie, en Montérégie, un fabricant de systèmes de fermetures de portes pour le matériel roulant.

En novembre dernier, la Société de transport de Montréal va en appel d'offres pour 20 portes papillons, motorisées et non motorisées, servant aux édicules de stations de métro. La STM change ses portes d'entrée afin de rendre le métro accessible à la clientèle à mobilité réduite.

Il s'agit d'un contrat de taille modeste, mais qui risque fort d'être suivi par d'autres, croit Mathieu Charbonneau, associé de Doorspec.

Les gens de Doorspec ont d'ailleurs fourni des portes papillons motorisées pour les édicules des trois stations de métro de Laval.

Plus bas soumissionnaire

À l'ouverture des soumissions le 4 janvier, Doorspec est le plus bas soumissionnaire avec un prix de 814 797,09$. Le seul autre soumissionnaire, PallChantiers, de Laval, a proposé un prix de 1,295 million, soit un demi-million de plus que Doorspec.

Mais au lieu de sabler le champagne, Doorspec apprend quelques jours plus tard l'appel d'offres est annulé et qu'il sera repris avec quelques changements mineurs à la commande. Les exigences techniques restent pour ainsi dire les mêmes.

À la reprise de l'appel d'offres, un mois plus tard, PallChantiers fait passer sa soumission à 746 525$, soit 550 000$ de moins que sa première soumission et devient ainsi le plus bas soumissionnaire.

«Notre concurrent savait exactement notre prix. Le processus de concours d'appel d'offres public est complètement biaisé», critique aujourd'hui Mathieu Charbonneau.

Doorspec a tenté d'obtenir une ordonnance pour forcer la STM de lui donner le contrat en fonction des termes du premier appel d'offres, ce qui lui a été refusé. C'est d'ailleurs par cette procédure déposée au palais de justice de Montréal le 17 février que La Presse a pris connaissance du conflit entre Doorspec et STM. Le conseil de la STM doit décider de l'octroi du contrat à sa réunion d'aujourd'hui.

De 180 à 10 employés

Doorspec est née des restants de la faillite de Curtis Door en septembre 2009, qui appartenait à la française Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), qui fournit des escaliers roulants à la STM. Auparavant, l'entreprise fonctionnait sous le nom de SMC Transit.

En fait, la PME a existé sous une forme ou sous une autre depuis 1996 et s'est toujours spécialisée dans les portes destinées au matériel roulant. Au fil des ans, la PME, qui s'est installée à La Prairie en 2003, a développé un système de synchronisation des portes de quai, aussi appelées portes palières, avec les portes des wagons de métro.

Un de ses faits d'armes a été de fournir les portes des voitures du train Acela d'Amtrak, construit par Bombardier. Elle a d'ailleurs été une sous-traitante de Bombardier pendant des années. Un des associés de la première heure, Pierre Tremblay, est d'ailleurs un ancien de Bombardier Transport. En 2008, Curtis Canada frôlait les 180 employés à ses deux usines de La Prairie et de Plattsburgh, dans l'État de New York.

En 2007, Curtis avait décroché le plus gros contrat de son histoire, 14 millions, pour installer 1800 paires de portes des voitures de métro Toronto Rocket, construites par Bombardier. L'ampleur du contrat a provoqué une crise de liquidités chez Curtis qui a finalement causé sa faillite.

Pas de clause de contenu local

Doorspec a été formé par d'ex-employés clés de Curtis en octobre 2009. Aujourd'hui, les ventes s'élèvent à 1 million par année et tiennent occupées une dizaine de personnes.

Le gros de son activité consiste à fournir le service et les pièces de rechange aux opérateurs de train. Elle fournit également des services d'ingénierie pour des clients dans le transport sur rail.

«C'est ce qui nous tient en vie actuellement. Pour les nouveaux contrats, c'est difficile», reconnaît le président de la société, Mathieu Charbonneau, 33 ans.

Ce n'est pas faute d'essayer. Par exemple, Doorspec a développé un nouveau système d'entraînement des portes pour les vieilles voitures de métro MR-73.

Elle a remporté successivement deux petits appels d'offres en 2011, mais quand est venu le plus gros contrat de remplacement de 3500 systèmes en juillet 2011, un plus bas soumissionnaire avec des installations au Mexique a remporté l'appel d'offres.

«Il n'y avait pas de clause qui spécifiait que la fabrication devait se faire au Québec», déplore Nicolas Gerber, ingénieur électrique et associé.

La perte de ce contrat d'environ 3,3 millions a fait mal, mais Mathieu Charbonneau et ses partenaires ont retroussé leurs manches. Ils se sont attaqués à la technologie des portes papillons pour les édicules de métro. Doorspec saura aujourd'hui si une PME qui fabrique ses produits au Québec peut encore répondre aux exigences des grands donneurs d'ordres d'ici.