Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Bombardier Avions commerciaux, et ce n'est pas dû à la concurrence de nouveaux acteurs dans l'industrie.

C'est l'opinion d'un analyste américain, Richard Aboulafia, de Teal Group, en réponse à un rapport du Conference Board du Canada sur l'industrie aérospatiale canadienne. Ce rapport a soutenu que la concurrence des nouveaux acteurs se faisait de plus en plus féroce.

«En fait, c'est une conclusion totalement opposée qui résume le mieux le thème central de l'année 2011, écrit l'analyste. Tout le battage qui portait sur les producteurs émergents s'est écroulé comme un château de cartes, alors que les joueurs en place ont réaffirmé leur dominance.»

C'est ainsi que, selon lui, la CSeries n'est pas en train de se faire démolir par de nouveaux acteurs, mais par Airbus et Boeing. Il a expliqué qu'en moins d'un an, les deux géants avaient récolté environ 2500 commandes et lettres d'intention pour de nouveaux produits, l'A320 Neo et le 737 Max, alors que la CSeries n'avait toujours que 133 commandes fermes depuis 2008.

M. Aboulafia explique que seules les plus grandes entreprises ont les reins assez solides pour offrir du financement aux acheteurs potentiels, une garantie sur la valeur résiduelle des appareils et des rabais importants dès le départ. Selon lui, Bombardier n'a peut-être pas cette solidité financière, essentielle pour établir une présence sur le marché.

«Potentiellement, la CSeries est un excellent appareil, écrit-il. Mais en matière de marketing et de ventes, c'est comme si Bombardier s'amenait à un combat de lance-flammes avec un petit chalumeau pour faire des crèmes brûlées.»

Transport régional: une catastrophe

L'analyste ajoute que dans le domaine du transport régional, les chiffres de Bombardier sont catastrophiques et que les acteurs émergents n'ont rien à voir là-dedans.

Il note que le carnet de commandes de l'avionneur canadien ne compte que 50 biréacteurs CRJ et 29 turbopropulseurs Dash 8 Q400, alors que les carnets de commandes de ses concurrents de longue date, Embraer et ATR, comprennent respectivement 250 biréacteurs régionaux et 270 turbopropulseurs.

«Le Dash 8 est un excellent appareil et il n'y a rien de mal avec le CRJ, mais la compétitivité de Bombardier s'est effondrée, écrit M. Aboulafia. On peut jeter le blâme en partie sur la CSeries, qui a détourné les ressources de vente et de conception de produit.»

L'analyste ajoute que les nouveaux produits d'acteurs émergents ont également connu des difficultés, comme le MS-21 d'Irkut et le MRJ de Mitsubishi, qui semble faire du sur-place.

Embraer, pour sa part, a décidé de remotoriser ses biréacteurs régionaux au lieu de lancer un nouvel appareil qui aurait concurrencé la CSeries, l'Airbus A319 et la plus petite version du Boeing 737.

«Comme Bombardier, Embraer s'est avancée jusqu'au bord du gouffre, mais contrairement à Bombardier, elle a reculé», écrit M. Aboulafia.

L'analyste ajoute que le biréacteur régional ARJ21 de la société chinoise COMAC n'a pas réussi à atteindre ses buts «déjà misérables» et que le C919 de la même société, un plus gros appareil, n'a toujours pas de clients étrangers.

«Lorsque, l'été dernier, au Bourget, Bombardier et COMAC ont signé une deuxième entente de coopération, cela ressemblait à deux ivrognes qui essaient de se tenir l'un après l'autre pour ne pas tomber, écrit-il. Il n'y a toujours aucun client chinois pour la CSeries et COMAC ne semble pas sur le point de percer sur le marché mondial du biréacteur.»

M. Aboulafia conclut sa note avec un dernier exemple montrant que les joueurs émergents ne menacent pas les grands constructeurs établis. Le Japon a développé un chasseur afin de faire sa place sur le marché de la défense comme Toyota a fait sa place sur celui de l'automobile. Pourtant, il vient de commander 42 chasseurs F-35, le Joint Strike Fighter, conçu par Lockheed Martin.