À première vue, la contradiction est étonnante: la ville abritant les sièges sociaux des grandes pétrolières canadiennes vient d'élire un farouche partisan des transports en commun.

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Le nouveau maire de Calgary, Naheed Nenshi, ne voit pas, lui, de contradiction entre son électorat et sa vision des transports en commun. «La majorité du pétrole n'est pas utilisé par l'automobile, dit le politicien de 39 ans en entrevue à La Presse Affaires. L'industrie de l'énergie sera très prospère, qu'on utilise ou non les transports en commun à Calgary. En fait, plusieurs décideurs de l'industrie pétrolière sont nos plus grands partisans. Pour connaître du succès, ces entreprises doivent attirer les ingénieurs et les travailleurs les plus brillants, et ces gens veulent vivre dans une ville vibrante avec un bon service de transports en commun. Nous sommes une ville dépendante de l'automobile. Nous avons un système de transports en commun extraordinaire au centre-ville, mais ça ne fonctionne pas aussi bien à l'extérieur du centre-ville.»

Une autre priorité du nouveau maire de Calgary: changer la façon de bâtir sa ville.

«Dans l'ouest du Canada comme partout au pays, nous avons permis un étalement urbain où il est parfois difficile d'obtenir des services et de prendre le transport en commun. Nous devons comprendre que la hausse du temps de déplacement entre la maison et le travail est une tragédie nationale. Le trafic enlève aux gens une partie de leur qualité de vie et de leur productivité au travail», dit Naheed Nenshi, qui a été consultant chez McKinsey, professeur d'université et auteur d'un livre sur le développement urbain avant de devenir le premier maire musulman d'une métropole canadienne.

Besoin des banlieues

S'il veut réduire les déplacements automobiles à Calgary, Naheed Nenshi ne part pas pour autant en guerre contre la banlieue. «Nous aurons toujours besoin des banlieues, mais il nous faut une différente sorte de banlieue, plus dense, plus facilement accessible par transport en commun, dit-il. Oui, il y aura toujours de belles maisons avec une grande cour, mais il doit aussi y avoir des maisons de ville, des condos, des duplex. Vous pourrez aller à l'épicerie en marchant et vous serez prêt de votre lieu de travail.»

Pour financer sa vision de Calgary, le nouveau maire compte beaucoup sur le plus grand bailleur de fonds au pays en matière d'infrastructures: le gouvernement fédéral. Dans le cadre de son plan de relance, le gouvernement Harper a dépensé 6 milliards de dollars en trois ans pour financer la construction d'infrastructures. «Les villes ont bien dépensé l'argent, mais, en raison de la nature du plan de relance, il fallait des projets prêts à démarrer immédiatement», dit Naheed Nenshi.

Par l'entremise de son programme d'infrastructures Chantiers Canada, Ottawa dépensera en moyenne 1,25 milliard de dollars par année jusqu'en 2014. Depuis 2008, les villes canadiennes reçoivent aussi 2 milliards de dollars de plus par année grâce à un transfert du Fonds fédéral de la taxe sur l'essence. La contribution d'Ottawa est appréciable, mais insuffisante aux yeux de Naheed Nenshi. «Dans tout le pays, nous avons un déficit d'infrastructures de 125 milliards, dit-il. Seulement à Calgary, il nous entre 8 et 9 milliards pour de nouvelles infrastructures prêtes à être construites demain matin.»

Après 2014, Naheed Nenshi n'a aucune idée des intentions de son principal bailleur de fonds en infrastructures, que le gouvernement soit conservateur ou libéral. «Les libéraux et les conservateurs ont une plateforme similaire: ils disent qu'ils vont élaborer un plan, dit-il. Peut-être qu'ils auraient dû planifier vos programmes avant d'écrire votre plateforme, non?»

L'incertitude entourant l'avenir du programme fédéral d'infrastructures pourrait toutefois servir le maire de Calgary, qui parle ouvertement de réforme fiscale au bénéfice des villes. «Aucun des partis n'a le courage de le faire, mais nous devons avoir une discussion là-dessus, dit Naheed Nenshi. Les villes ne peuvent plus se fier à des programmes gouvernementaux arbitraires pour financer leurs infrastructures. Nous avons besoin de sources de revenus prévisibles à long terme, et ça veut dire de changer la façon dont on perçoit les impôts et les taxes dans ce pays.»

Son concitoyen Jack Mintz est aussi d'avis qu'il faut repenser le rôle du gouvernement fédéral. Mais le professeur de droit et de politiques publiques de l'Université de Calgary pense plutôt qu'Ottawa devrait cesser de financer les infrastructures municipales. «Ce serait peut-être une bonne idée d'arrêter les investissements fédéraux dans les infrastructures urbaines, a-t-il écrit dans le Financial Post plus tôt ce mois-ci. Pourquoi les gens de Halifax ou Belleville paieraient-ils pour des services à Toronto ou à Calgary? S'il y a un bon projet, c'est aux électeurs de l'appuyer et d'assumer les hausses de taxes qui viennent avec.»