Le gouvernement du Québec accorde directement à Bombardier-Alstom le contrat de 1,3 milliard du renouvellement des wagons de métro de Montréal. Et pour mettre fin à la série de rebondissements qui ont bloqué le projet depuis quatre ans, un projet de loi sera déposé ce matin à l'Assemblée nationale pour rendre irréversible cette décision.

«Jusqu'ici, il y a plus d'avocats qui ont travaillé dans ce dossier que de travailleurs de l'usine de La Pocatière. Si vous faites le décompte de ce qui s'est passé depuis l'appel d'offres de 2006, il y a bien du temps passé devant les tribunaux», a lancé Jean Charest, en point de presse mardi matin à l'usine Bombardier. Devant les 300 ouvriers réunis, M. Charest a souligné que «c'est ici, à La Pocatière, que se construiront 500 wagons de métro pour Montréal». «L'attribution de ce contrat est une histoire qui a connu des imprévus, des soubresauts, plusieurs recours devant les tribunaux, c'est normal. Mais le train arrive en gare aujourd'hui.»

Dans sa décision, le gouvernement a tenu compte de ses capacités économiques et de ses besoins - il achète 500 wagons, tel que prévu en 2006 plutôt que les 1000 visés et obtenus par le consortium Bombardier-Alstom il y a deux ans. En doublant l'importance du contrat, une modification majeure, Québec était tenu de publier ce contrat à l'international, suscitant ainsi des appétits. Curieusement, après avoir jonglé depuis le printemps dernier avec un processus d'appel d'offres international, M. Charest soutient que la STM n'est pas couverte par les règles de l'Organisation mondiale du commerce.

Il a confirmé les chiffres publiés mardi par La Presse. Le coût des véhicules sera d'environ 2,6 millions l'unité au lieu des 3,4 millions que réclamait le consortium à l'origine. La valeur totale du contrat sera de 1,3 milliard de dollars.

Avec son court projet de loi, ce matin, Québec veut mettre un point final à une embarrassante saga qui dure depuis 52 mois. Québec avait donné le contrat à Bombardier, qui avait été la cible de recours juridiques de Alstom. Les deux firmes avaient formé un consortium en 2008, mais le gouvernement avait accepté qu'on double la commande, à 1000 wagons. Il s'est rendu compte par la suite qu'il s'exposait du même souffle à la concurrence internationale. En évitant l'appel d'offres, le gouvernement espère réduire de 18 à 24 mois le délai avant le début de la production.

L'entente devrait assurer 400 emplois pendant huit ans à La Pocatière, dont le personnel grimpera à près de 800 salariés. On consolide aussi une centaine d'emplois chez Bombardier, à Saint-Bruno, et une cinquantaine chez Alstom, à Sorel-Tracy, où seront fabriqués les moteurs.

«À l'abri»

Pour Jean Charest, en légiférant, Québec se met «à l'abri des recours juridiques» - l'espagnole CAF envisage de contester en cour un contrat signé en dépit des règles du commerce international.

Il ne craint pas la perception du Québec à l'étranger. «La décision que le Québec prend sera perçue comme normale par d'autres gouvernements qui ont pris des décisions similaires», estime-t-il.

Les ministres Sam Hamad (Transports) et Nathalie Normandeau (Ressources naturelles) ont aussi pris la parole dans l'immense salle de montage de l'usine et rassuré les ouvriers inquiets jusqu'ici. Claudette Carbonneau de la CSN s'y trouvait aussi aux côtés des ténors du patronat, Yves-Thomas Dorval et Françoise Bertrand, respectivement du Conseil du patronat et de la Fédération des chambres de commerce.

M. Charest avoue ne pas croire les chiffres avancés par la firme espagnole CAF, dont «les prix ont beaucoup varié en 24 heures. Quand on voit des variations dramatiques, il y a lieu d'être sceptique». La firme parlait de 2 millions par véhicule il y a quelques jours, mais elle est revenue mardi avec 1,43 million.

Pour le premier ministre, Québec paie «un juste prix» pour ce matériel. C'est d'ailleurs la conclusion d'une firme d'évaluation indépendante, Hatch MacDonald, mandatée par la STM dans ce dossier.

Urgent, selon la STM

Pour Michel Labrecque, président de la STM, «il y a urgence de remplacer nos voitures de métro». L'été dernier, alors que l'on planchait sur un scénario d'appel d'offres, il était toutefois bien moins pressé. Bon nombre de wagons à remplacer sont en service depuis l'inauguration du métro en 1966 et ils ont atteint la limite de leur vie utile.

Toutefois, c'est la fiabilité du réseau qui est affectée, et non sa sécurité, insiste M. Labrecque. Les voitures désuètes doivent passer beaucoup plus de temps en réparation. Elles sont donc envoyées sur des voies de garage, ce qui réduit le nombre de wagons disponibles.

Michel Labrecque aussi met en doute les chiffres de CAF. «Les comparaisons avec les marchés étrangers, c'est très complexe... On a demandé à une firme externe de valider les prix», explique-t-il.

Pour le maire de La Pocatière, Sylvain Hudon, des incertitudes persistaient jusqu'à maintenant sur la capacité de Québec d'octroyer directement le contrat à Bombardier. Ces inquiétudes paraissent levées par les arguments de Québec, a-t-il estimé mardi.

Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce, ne craint pas non plus les conséquences de la décision sur la réputation du Québec à l'international. «Il ne faut pas être naïf: ailleurs aussi, ils jouent les mêmes cartes.»