Air Canada étendra son réseau à Iqaluit, la capitale du Nunavut. Ce faisant, le transporteur affrontera directement deux sociétés aériennes qui appartiennent aux Inuits du Québec, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest.

First Air et Canadian North Airlines craignent que cette irruption ne les fragilise et n'entraîne ainsi une détérioration du service dans les plus petites communautés du Grand Nord.

«Je suis attristé de voir que des gens aillent de l'avant sans voir les conséquences, a déploré Pita Aatami, président de la Société Makivik, dans une entrevue téléphonique avec La Presse Affaires depuis les bureaux de la société à Kuujjuaq. Ils ne voient que la ligne des profits en bas de page.»

La Société Makivik a été établie en 1975 pour administrer les fonds versés aux Inuit du Nord du Québec en vertu de la Convention de la Baie James et du Grand Nord québécois. En 1990, elle a acheté First Air, qui dessert plusieurs communautés de l'Arctique et qui leur fournit un lien avec Ottawa et Montréal.

De son côté, Canadian North appartient aux Inuit du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest, par le biais de la Société Nunasi et la Société de développement Inuvialuit. Comme Makivik, ces deux sociétés ont été créées à la suite de la signature de traités. Canadian North dessert Iqaluit à partir d'Ottawa, mais aussi à partir de Yellowknife et Edmonton.

Cette semaine, Air Canada a annoncé qu'elle établira une liaison quotidienne entre Montréal, Ottawa et Iqaluit à partir du 28 mars prochain.

«Iqaluit était la seule capitale régionale que nous ne desservions pas, a expliqué la porte-parole d'Air Canada, Isabelle Arthur. Nous desservions le nord-ouest du Canada, mais pas le nord-est. Ce sera fait, à partir de Montréal et d'Ottawa. Et cela fera un lien avec le reste de notre réseau.»

Elle a indiqué qu'Air Canada visait surtout une clientèle de fonctionnaires et de gens d'affaires, ainsi qu'une clientèle nordique qui voudrait avoir accès au réseau national et international du transporteur.

La présidente de Canadian North, Tracy Medve, a soutenu qu'Air Canada aurait très bien pu conclure un partenariat avec les transporteurs nordiques pour faciliter l'accès à son réseau, et ainsi maintenir le délicat équilibre établi au niveau du service aérien des petites communautés. Elle a indiqué que Canadian North avait essayé de discuter de telles possibilités avec Air Canada, sans succès.

«Finalement, ils sont venus et se sont servis eux-mêmes», a-t-elle déploré, dans une entrevue téléphonique avec La Presse Affaires depuis le siège social de Canadian North, à Yellowknife.

Avant d'être acquise par les sociétés inuites, Canadian North était une division du transporteur Canadien Internationale. De son côté, First Air avait conclu un partenariat commercial avec Air Canada, mais cette entente est venue à échéance en 2003. First Air demeure quand même un partenaire d'Aéroplan.

Mme Medve a affirmé que le Nord était déjà très bien desservi par les deux transporteurs nordiques et que l'ajout d'un troisième transporteur entraînerait un problème de surcapacité.

«Avec 30 millions d'habitants, le Canada est desservi par deux grands transporteurs, a renchéri M. Aatami. Que va-t-il se passer lorsqu'un troisième transporteur arrivera dans une région qui compte 30 000 personnes? Il ira chercher des parts du marché des transporteurs actuels. Pour moi, c'est décevant de voir qu'un transporteur important qui dessert un pays comme le Canada puisse venir jouer la petite brute dans notre région.»

Mme Medve et M. Aatami ont admis que certains se réjouissaient de l'arrivée d'Air Canada à Iqaluit parce que cela devrait entraîner une réduction des tarifs entre Montréal, Ottawa et Iqaluit.

«Par contre, les petites communautés qui ne seront jamais desservies par Air Canada s'inquiètent, a déclaré Mme Medve. On craint qu'il y ait une diminution du service, ou une hausse des tarifs, ou les deux.»

M. Aatami a fait valoir que les Inuit ne s'étaient pas lancés dans le transport aérien pour faire de l'argent, mais avant tout pour aider les gens des communautés nordiques.

«Nous faisons des profits, mais ils retournent dans nos communautés», a-t-il affirmé.

Mme Medvev a également insisté sur l'importance sociale de son entreprise.

«Nous avons le mandat de créer des emplois et des possibilités de carrière pour les Inuits et les autres résidents nordiques, a-t-elle déclaré. C'est une des principales raisons de notre présence. Nous payons des taxes ici, nous investissons, nous participons à divers programmes de commandites. Et lorsque quelqu'un se perd ou qu'il y a une urgence, on nous demande souvent si nous pouvons aider. Nous ne disons jamais non.»