La crise a frappé de plein fouet les programmes de multipropriété d'avions d'affaires. Ils peinent à se relever, au point où l'on s'interroge sur la viabilité de ce modèle.

Autrement dit, les condos volants sont-ils en voie de disparition?

«Il est encore trop tôt pour rédiger un avis de décès, commente Richard Aboulafia, un analyste de la firme de consultation américaine Teal Group. Il y a actuellement un problème de surcapacité. Si on peut régler ce problème et mettre en place une structure de prix plus réaliste, nous verrons si le modèle peut fonctionner.»

Le vice-président au marketing de Flexjet, le programme de multipropriété de Bombardier, Sylvain Lévesque, est plus affirmatif. «Les programmes de multipropriété subissent les contrecoups de la situation économique, mais c'est un modèle très viable», soutient M. Lévesque au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Affaires.

Selon David Strauss, de la firme UBS, les ventes de nouvelles parts ont diminué de 40% depuis le début de l'année pour l'ensemble des programmes de multipropriété. Le nombre total de parts a glissé de 10%, alors que l'ensemble de la flotte n'a été réduit que de 3%, ce qui laisse présager une nouvelle réduction.

Un concept des années 90

Le concept a commencé à prendre son envol au cours des années 90. L'idée était attrayante: comme il était extrêmement coûteux de posséder et d'exploiter un avion d'affaires, des entrepreneurs ont proposé de vendre des parts d'appareil, donnant droit à un certain nombre d'heures de vol par part.

Ces programmes sont devenus extrêmement importants, au point où ils représentent maintenant de 10 à 15% du marché des manufacturiers d'avions d'affaires. C'est donc un secteur très important pour l'industrie, qui inaugure demain à Orlando sa plus importante rencontre mondiale, le congrès de la National Business Aviation Association (NBAA), en pleine tourmente.

Avec 10% de la flotte totale d'appareils en multipropriété, Flexjet est devenu le deuxième plus grand joueur derrière le géant NetJets, une filiale de Berkshire Hathaway, qui exploite 69% de la flotte.

Flexjet ne divulgue pas ses résultats. Par contre, on sait que ses revenus ont diminué de 108 millions de dollars US au premier semestre de l'exercice 2009-2010 par rapport à la même période de l'exercice précédent. Bombardier n'a livré qu'un seul appareil à Flexjet au premier semestre de 2009-2010, comparativement à neuf au premier semestre de 2008-2009.

Les autres programmes de multipropriété ont également perdu des plumes. Les ventes de nouvelles parts ont chuté de 81% chez NetJets au premier semestre, entraînant des pertes de 349 millions US.

En Europe, au mois d'août, le nouveau programme de multipropriété Jet Republic a raté son décollage, ce qui a entraîné la résiliation d'une gigantesque commande de 1,5 milliard US placée auprès de Bombardier pour 110 appareils Learjet 60 XR, soit 25 commandes fermes et 85 commandes conditionnelles.

«Il y a un an, nous avons fait une mise en garde, nous avons dit que les nouveaux programmes seraient très vulnérables pendant ce ralentissement, indique l'analyste Brian Foley, de la firme américaine Brian Foley Associates. Mais cette résiliation est particulièrement dramatique parce qu'elle porte sur une des plus grandes commandes d'avions d'affaires jamais enregistrées.»

Il estime que les programmes de multipropriété doivent modifier leur modèle d'affaires.

«Le modèle existant repose sur une croissance rapide, explique-t-il. Tant que la flotte s'accroît, les programmes peuvent profiter en achetant de nouveaux appareils à prix d'escompte et en les vendant aux clients au prix du catalogue. Comme la taille de la flotte est maintenant stable, il faut rendre le côté opérationnel profitable, ou changer le modèle.»

M. Lévesque affirme que les activités de vol de Flexjet sont déjà profitables, contrairement à ce qui se passe chez les autres joueurs d'importance que sont CitationShare (Cessna) et Flight Options, et possiblement chez NetJets. «Flexjet est assez unique dans sa profitabilité», soutient-il.

Par contre, comme tous les autres programmes, Flexjet doit subir l'impact négatif de la baisse de valeur des avions d'affaires. «Cette année, c'est plus difficile de faire des profits à vendre des avions, admet-il. Mais c'est une situation temporaire.»