C'est l'histoire de deux camionneurs, mais ce pourrait être celle de milliers d'autres. Un qui roule comme un bon. Et l'autre, dont les activités reprennent bien lentement. Le premier profite indirectement des programmes d'infrastructure. Le second a changé de camion, faute de produits industriels à transporter.

Bienvenue au Flying J de Vaudreuil-Dorion, en bordure de l'autoroute 40, là où les camions-remorques emplissent l'immense stationnement asphalté, pendant que leurs propriétaires vont casser la croûte ou faire un roupillon. Les gros moteurs tournent, l'air vicié vient nous gratter le fond de la gorge. Pierre Philipps détonne un peu dans le paysage, avec son camion à benne de dix roues qui a l'air tout petit à côté des autres mastodontes.

Alors, M. Philipps, comment ça va, l'économie? «Ça va très bien», répond-il sans hésiter. «Avant les vacances de la construction, c'était plus lent. Mais là, c'est pas mal occupé.»

Vous ne verrez pas le camion de M. Philipps ni sa petite rétrocaveuse sur les grands chantiers routiers qui font tant grogner les automobilistes. Lui, son affaire ces temps-ci, ce sont les cours d'écoles et les parcs où on installe de nouveaux jeux.

Mais comme plusieurs de ses confrères qui possèdent des camions semblables au sien sont occupés sur les mégachantiers d'infrastructures, il peut travailler en paix, sans craindre trop de concurrence. «Ils ont un budget à dépenser, fait que, il faut qu'ils le dépensent», dit-il de ses donneurs d'ouvrage.

Mais n'allez pas croire que tous les camionneurs ont le même large sourire que M. Philipps. Ramon Aberasturi, lui, a trouvé les derniers mois difficiles.

L'hiver dernier, il a perdu son emploi. Les fils électriques, câbles et autres planches en vinyle qu'il avait l'habitude de transporter ne trouvaient plus preneurs.

«Ça recommence très lentement», dit-il en descendant de son nouveau camion, celui de Simard Transport, où il travaille depuis trois mois.

Désormais, ce ne sont pas des produits industriels qu'il transporte. Quand on l'a rencontré, son camion était chargé d'un conteneur, plein de produits à destination de Walmart.

Chez TransForce, qui emploie 6000 personnes au Québec, dont les trois quarts sont des camionneurs et des manutentionnaires, ces deux histoires sont un fait connu. «Dans les produits manufacturés, c'est épouvantable les baisses qu'on subit, raconte le grand patron, Alain Bédard. Notre chiffre d'affaires en transport, ce qu'on appelle les truck loads ou charges complètes, est en baisse de 20 %, 25 % cette année par rapport à l'année passée. Puis ça fait depuis 2006 qu'on a des baisses comme ça.»

Depuis trois ans, pendant que des usines québécoises fermaient, le tiers de ses affaires a disparu dans le secteur industriel. En 2009, son groupe a mis à pied 10 % du personnel au Québec.

Heureusement pour TransForce, d'autres secteurs, comme le transport du ciment, se portent mieux. Celui des denrées alimentaires a même traversé la crise actuelle comme un gros Kenworth roulant sur de l'asphalte neuf.

Évidemment, pourrait-on arguer, le secteur du transport et de l'entreposage ne représente que 4,5 % du poids total de l'économie du Québec, son PIB. Mais, comme l'indique l'économiste Hélène Bégin, de Desjardins, ces 4,5 % agissent comme un bon reflet de l'activité économique. «C'est la meilleure courroie de transmission de l'économie», explique-t-elle.

Et dans les magasins?

Claude Guévin travaille chez Rona depuis 1986. Aujourd'hui premier vice-président et chef de la direction financière du groupe, il est à même de sentir le pouls de l'économie d'un bout à l'autre du pays. «Je trouve que, en tout cas à date, à part Terre-Neuve, c'est probablement la province de Québec qui s'en sort le mieux au niveau de la récession.»

Les données de Statistique Canada confirment son pifomètre. Au Québec, de juin 2008 à juin 2009, les ventes au détail ont baissé de 1,4 %, contre 4,4 % au Canada.

Quand on lui demande si, dans ses 365 magasins Rona du Québec, il voit une différence d'une région à l'autre, M. Guévin commence par les plus éloignées : «Ça me fait beaucoup penser aux Maritimes», dit-il. Pas de grande croissance, pas non plus de grand choc quand arrive la récession.»

La région de Québec, c'est un peu comme Ottawa à ses yeux, stable grâce à la fonction publique.

À Montréal, il voit davantage de montagnes russes. Et, ces derniers temps, c'est plus le bas de la pente que le haut. «Il y a moins de grues, moins de construction de tours, moins de projets» que dans les autres grandes villes du pays, a-t-il observé.

Retour dans le stationnement du Flying J de Vaudreuil-Dorion, là où Pierre Philipps fait le plein. En 26 ans de camionnage, il a vécu d'autres ralentissements. Son appréciation de cette récession : «Je la trouve moins dure que celle de 1990. Je pensais que ça allait être plus dur, parce qu'elle a été plus médiatisée, mais j'ai passé à travers plus facilement», dit-il, avant de repartir installer ses jeux dans la cour d'école.