En 2011, la nouvelle a l'effet d'une bombe dans le secteur financier au Québec : Valeurs mobilières Desjardins (VMD) congédie une star du placement, Marc Dalpé, et son associé Jean-Marc Milette, pour détention et gestion de comptes « offshore » pour des clients. Hier, un juge a tranché : VMD avait tort de congédier ainsi le duo de gestionnaires-vedettes. Mais messieurs Dalpé et Milette n'ont toutefois pas droit aux millions de dollars de dédommagement demandés pour renvoi abusif parce qu'ils avaient signé une quittance avec leur ex-employeur.

Selon le juge, le motif invoqué par VMD pour congédier cette équipe, dont l'actif sous gestion frôlait le milliard de dollars, n'est pas faux. Mais il n'est pas suffisamment sérieux pour ne pas avoir été précédé par un préavis de cessation d'emploi (délai-congé). À défaut de quoi l'employeur aurait dû verser une indemnité que le juge estime à 1,6 million chacun. 

Marc Dalpé et Jean-Marc Milette, qui oeuvrent aujourd'hui au sein de la firme Richardson GMP à Montréal, ont toujours soutenu que le motif allégué servait d'excuse à VMD pour résilier un contrat dont le modèle d'affaires ne lui convenait plus.

VMD affirmait, de son côté, que la perte de confiance découlant d'irrégularités commises et le manque d'honnêteté et de transparence étaient des motifs sérieux justifiant leur congédiement. Mais VMD soulevait surtout que les parties avaient signé une quittance, une entente visant à régler à l'amiable leur différend entourant notamment une clause de non-sollicitation des clients. Le juge donne raison à Desjardins sur ce point et ne demande donc pas à Desjardins d'indemniser les demandeurs. 

NI ABUSIF NI SUFFISAMMENT SÉRIEUX

Dans la décision qui vient d'être rendue, le juge conclut que le congédiement de Marc Dalpé et de son associé Jean-Marc Milette, sans être abusif, ne repose pas sur un motif sérieux, même si certaines règles ont été violées.

« Pas question ici d'atténuer l'importance ou la gravité du comportement des demandeurs, écrit le juge Benoit Moore, de la Cour supérieure. Ceux-ci se doivent de conserver une éthique irréprochable. Le fait pour eux d'agir dans des comptes "offshore" situés dans des paradis fiscaux et d'avoir détenu personnellement de tels comptes sans en déclarer les revenus constitue un accroc à une éthique irréprochable. »

Le tribunal conclut néanmoins que VMD a fait preuve d'empressement, compte tenu, notamment, du nombre peu important de comptes impliqués (entre quatre et neuf sur un total de 5500 comptes gérés par Dalpé-Milette) et du peu de transactions effectuées dans les comptes clients. Le juge note aussi que les demandeurs n'ont pas tenté d'agir à l'insu de VMD.

Ils ont été congédiés pour avoir détenu des comptes « offshore » personnels non déclarés et maintenu ouverts cinq comptes clients « offshore » détenus par des clients de VMD représentant 0,001 % de leurs actifs sous gestion et leur ayant procuré des bénéfices représentants moins de 0,005 % de leurs revenus totaux, souligne le juge.

« Les demandeurs prodiguent des conseils sur ces comptes, lesquels comptent peu de transactions. Ils divulguent l'existence de ces comptes lors de leur embauche, n'en ouvrent pas d'autres alors qu'ils sont chez VMD et se retirent de ces comptes à l'automne 2011 dès qu'on leur explique le danger », lit-on dans la décision.

Desjardins n'a pas voulu commenter le jugement.

Marc Dalpé s'est dit « heureux » que le tribunal reconnaisse que le congédiement est « totalement hors de proportion avec ce qu'on [leur] reprochait ».

« Le jugement nous donne une base pour confirmer ce qu'on dit. On n'a pas intenté ce procès-là pour se réconforter que nous avions été baisés. On le savait. On est allés en cour pour récupérer une partie du dommage financier. Desjardins garde totalement les bénéfices tirés de la situation. »

Il se dit donc déçu et n'écarte pas la possibilité d'en appeler de la décision.

Jean-Marc Milette parle de son côté d'une satisfaction morale. « Notre réputation est complètement lavée, et VMD se fait blaster sur toute la ligne. Le juge y va à fond de train. Desjardins n'avait pas d'affaire à nous mettre dehors et se fait reprocher la façon dont ç'a été fait. » 

LA QUESTION DE LA QUITTANCE

Dans les jours suivant le congédiement, en 2011, MM. Dalpé et Milette avaient tenté de joindre leurs clients. Par la suite, ils se sont entendus avec Desjardins sur une période de non-sollicitation de quatre mois, au lieu des six prévus au contrat.

Marc Dalpé et Jean-Marc Milette croyaient que la quittance signée ne pourrait les empêcher de réclamer des dommages financiers ultérieurement.

Toutefois, un élément capital dans la réflexion du juge a été le texte d'une lettre du Groupe Dalpé-Milette envoyée à leurs clients quelques semaines après la signature de la quittance. Dans cette lettre, les deux gestionnaires soulignent avoir pris la décision de ne pas recourir aux tribunaux pour faire valoir leurs droits à la suite d'un règlement hors-cours avec VMD qui stipule qu'aucun recours ne sera intenté. « Il a fallu peser notre désir de revanche contre celui de mettre d'abord notre coeur et nos énergies dans ce qu'est notre métier », peut-on lire dans la lettre.

Pour le juge, cela ne peut établir autre chose que l'état d'esprit dans lequel la quittance a été conclue, lequel dénote une volonté de régler l'ensemble du dossier. De ce fait, ils ont renoncé à leur droit de réclamer une indemnité, fait valoir le juge.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, archives La Presse

Jean-Marc Milette