Si elle devait progresser devant les tribunaux américains, la requête en recours collectif faite par une caisse de retraite du Colorado contre les six grandes banques canadiennes pour des allégations de manipulation de taux d'intérêt interbancaires et des prix de produits dérivés pourrait avoir des conséquences réglementaires sur le secteur bancaire canadien, estime Martin Boyer, professeur en finances à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de recherche sur les régimes de retraite et d'assurances.

La requête en recours collectif visant à rallier un groupe d'investisseurs d'envergure a été inscrite il y a quelques jours devant un tribunal new-yorkais par le gestionnaire des régimes de retraite des policiers et des pompiers du Colorado, qui cumulent 4,4 milliards US en actifs.

La requête allègue que les six banques canadiennes - BMO, RBC, CIBC, la TD, la Scotia et la Banque Nationale - et trois banques internationales - Bank of America, Deutsche Bank et HSBC - auraient manipulé l'indicateur de taux d'intérêt interbancaire nommé CDOR pendant sept ans, jusqu'en juin 2014.

Cet indicateur CDOR (pour Canadian Dealer Offered Rate, dans le jargon financier) sert à déterminer le coût d'emprunt à court terme et la valorisation courante de produits dérivés à l'intention de leur clientèle de gestionnaires de portefeuille d'envergure comme les caisses de retraite.

Les banques visées par cette requête, dont la Banque Nationale établie à Montréal, ont décliné tout commentaire pour le moment.

Un nombre «restreint» d'intervenants

Selon Martin Boyer, de HEC Montréal, ces allégations de manipulation du CDOR, même encore « très loin d'être démontrées en Cour », rappellent certains éléments du scandale de manipulation du LIBOR (taux interbancaire établi à Londres et d'influence internationale) qui avait ébranlé le secteur bancaire britannique et européen il y a quelques années.

« Les allégations de manipulation du CDOR, si elles sont entendues devant les tribunaux américains, seraient d'une portée beaucoup moindre que l'affaire du LIBOR », note d'emblée M. Boyer.

« N'empêche, que de telles allégations soient soulevées envers les banques canadiennes découle sans doute de la forte concentration et du manque de concurrence dans le secteur bancaire au Canada. »

« Quand on considère que six banques contrôlent 95 % du marché canadien de ces produits interbancaires très spécialisés, et que le taux CDOR est habituellement échantillonné parmi quatre de ces six banques, ça peut éveiller des soupçons ou des allégations de collusion et de manipulation des cours parmi un nombre aussi restreint d'intervenants. »

En contrepartie, explique M. Boyer, cet échantillonnage restreint du CDOR est « bien connu » dans le milieu des investisseurs d'envergure qui utilisent des produits aussi spécialisés que les produits dérivés basés sur les taux d'intérêt interbancaires.

Par conséquent, il faudra voir si d'autres gestionnaires de portefeuille d'envergure aux États-Unis se joindront au recours collectif demandé par un investisseur du Colorado, après qu'il aura été accepté en cour.

Impact réglementaire

Entre-temps, Martin Boyer rappelle que dans la foulée du scandale du LIBOR à Londres, les banques britanniques avaient été dépouillées de la gestion de cet indicateur de taux d'intérêt par les autorités bancaires de Grande-Bretagne et d'Europe.

Au Canada, les organismes de réglementation financière avaient examiné puis resserré les normes de surveillance du CDOR dans le secteur financier canadien.

En 2013, une étude de l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières n'avait pas révélé de « problème majeur » quant à l'utilisation du CDOR. Cependant, l'organisme avait décelé quelques faiblesses de gestion qui pouvaient susciter un « potentiel de manipulation », ce qui avait motivé l'établissement d'un « code de conduite » concernant le CDOR.

L'année suivante, en 2014, le principal organisme de supervision bancaire du Canada - le Bureau du surintendant des institutions financières ou BSIF - avait aussi rehaussé les normes avec lesquelles les banques peuvent déterminer les taux interbancaires comme celui du CDOR.

- Avec Reuters et l'Agence France-Presse