Les programmes qui traquent vos habitudes de conduite pour déterminer votre prime d'assurance auto véhiculent une énorme quantité de renseignements personnels à votre sujet. Mais leur circulation est bien encadrée par les règles actuelles, selon l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui s'est penchée sur ces nouvelles pratiques au cours des derniers mois.

L'organisme s'est contenté hier d'un rappel aux assureurs, leur demandant de bien informer les clients qui adhèrent à ces programmes et de bien protéger leurs renseignements personnels.

Le shérif des services financiers aurait cependant dû aller plus loin, selon le Regroupement des cabinets de courtage d'assurance du Québec (RCCAQ). «Nous sommes déçus. On aurait souhaité qu'ils interdisent clairement aux assureurs d'utiliser les données recueillies pour examiner la réclamation d'un client en cas de sinistre», souligne Vincent Gaudreau, président du regroupement.

Une obligation

Les programmes de télématique, qui gagnent en popularité, enregistrent des données telles que les déplacements, les heures de sorties en voiture, la distance parcourue, la vitesse et l'intensité de conduite (freinages, accélérations ou virages brusques). Les assureurs s'engagent à utiliser ces données seulement pour déterminer si un automobiliste est assez prudent pour obtenir un rabais sur sa prime. Mais le RCCAQ demande que ce soit une obligation, comme en Ontario, où la Commission des services financiers demande que «les assureurs n'utilisent pas les données de la tarification de l'assurance fondée sur l'usage à des fins liées aux sinistres».

Au Québec, l'AMF indique seulement que, si un assureur a l'intention d'utiliser ces données dans le cadre d'une enquête visant le règlement d'un sinistre, il doit en informer ses clients. «Mais les consommateurs ne sont pas conscients des conséquences, dit M. Gaudreau. En cas de réclamation, on pourrait se servir des informations enregistrées pour contester le témoignage d'un client, en regardant par exemple s'il roulait trop vite.»

Les deux plus importants assureurs offrant la télématique, Desjardins et Belair, affirment cependant qu'ils n'utilisent pas les renseignements sur la conduite à d'autres fins. «Il n'est pas question de s'en servir pour gérer les réclamations en cas de sinistre», a précisé Henry Blumenthal, vice-président de Belair.

Le RCCAQ aurait aussi aimé que l'on demande aux assureurs de rendre le dossier de conduite transférable d'une compagnie à l'autre, pour éviter de «prendre les consommateurs en otage», mais l'AMF n'a pas abordé la question.

Les sous-traitants

L'autorité réglementaire a cependant souligné que les sous-traitants auxquels les assureurs font appel pour fournir les outils technologiques et traiter les données doivent se conformer aux lois québécoises, notamment sur la protection des renseignements personnels. Des spécialistes de la vie privée s'inquiètent de voir des entreprises étrangères fournir ces services.

C'est notamment le cas d'Octo Telematics, une entreprise italienne appartenant à des intérêts russes, sous-traitant pour Belair. Le site web de l'assureur indique d'ailleurs que les données des clients peuvent se retrouver chez Octo aux États-Unis ou en Italie, où elles sont assujetties aux lois locales. Par ailleurs, certains de ces sous-traitants revendent des données à des entreprises qui voudraient les utiliser à d'autres fins en retirant les informations nominatives.

Après l'AMF, la Commission d'accès à l'information du Québec (CAI) mène aussi une inspection des pratiques des assureurs à l'endroit des renseignements personnels de leurs clients.

Télématique mobile

Les inquiétudes des défenseurs de la vie privée ont grimpé d'un cran depuis le lancement, il y a deux semaines, d'une application pour téléphone intelligent par Desjardins pour son programme Ajusto: plus besoin de brancher un appareil dans sa voiture, c'est le téléphone mobile qui transmet les données de conduite.

L'application est en mesure de détecter si l'automobiliste conduit son véhicule, s'il est passager avec un autre conducteur, en autobus ou en vélo, pour n'enregistrer que les déplacements pertinents pour établir le comportement au volant.

«L'avantage, c'est que le consommateur peut avoir une rétroaction instantanée sur ses habitudes, dès qu'il a terminé un trajet», indique Denis Côté, responsable de la gestion de l'offre chez Desjardins Assurances.

L'application a permis d'ajouter un critère pour évaluer la conduite: les excès de vitesse, en fonction des limites légales dans la zone où l'automobiliste circule. On en a aussi profité pour ajouter une fonction permettant de détecter si le conducteur est distrait: si l'appareil est pris en main et ouvert pendant que la voiture roule, on le sermonne. Mais cette information n'influence pas le score de conduite qui détermine la prime à payer par l'assuré.

Puisque bien des consommateurs transportent leur téléphone avec eux nuit et jour, est-ce à dire que l'assureur peut le suivre à la trace, même à l'extérieur de son auto? «L'application n'enregistre pas d'informations quand le client ne roule pas, alors on ne suit pas les gens continuellement», répond Denis Côté.

Les programmes d'assurance auto selon la conduite

MOBILIZ - INDUSTRIELLE ALLIANCE

> Depuis mai 2012.

> Pour les jeunes conducteurs (16 à 24 ans), ciblés par le programme, le rabais moyen est de 25%.

> Le tarif est ajusté d'un mois à l'autre en fonction du comportement au volant.

AJUSTO - DESJARDINS ASSURANCES

> Depuis avril 2013.

> Rabais moyen de 12%.

> 70 000 adhérents au Québec et en Ontario, soit 25% des nouveaux clients.

> Lancement le 27 mars d'une application Ajusto pour téléphone mobile.

> Depuis, Desjardins n'offre plus de rabais automatique au moment de l'adhésion au programme.

AUTOMÉRITE - BELAIR DIRECT

> Depuis janvier 2014.

> Rabais de 10 à 20% sur les primes.

> De 30 000 à 40 000 adhérents au Québec et en Ontario, soit de 30 à 40% des nouveaux clients.

> Rabais de 5% à l'inscription, plus 20% d'économies potentielles selon le dossier de conduite, applicables après six mois. L'appareil télématique est retiré du véhicule après six mois.