Un des principaux outils imaginés par l'Union européenne pour lutter contre la spéculation financière a subi un sérieux revers devant la justice européenne qui a mis en cause, par la voix de son avocat général, l'interdiction de la vente à découvert.

Dans un avis consultatif prononcé jeudi, l'avocat général de la Cour (CEJ) qui siège à Luxembourg, Niilo Jääskinen, a proposé d'annuler un article clé du règlement européen, en vigueur depuis le 1er novembre dernier, qui interdit la vente à découvert.

Cet avis qui ne lie pas la décision de la Cour a été bruyamment salué par Londres qui s'était opposé, sans succès, à cette réglementation européenne lors du processus d'adoption législatif.

«C'est la troisième victoire du Royaume-Uni contre Bruxelles», s'est réjoui vendredi le Financial Times (FT) reflétant le sentiment unanime de la City. Le quotidien britannique faisait référence à deux autres contentieux entre Londres et Bruxelles -sur le taux interbancaire Libor et la taxe sur les transactions financières (TTF)- qui, selon le FT, pourraient tourner à l'avantage du Royaume-Uni. L'interdiction du «short selling» (la vente à découvert) est inefficace, juge Londres.

L'article que M. Jääskinen a proposé d'annuler l'article 28 du règlement sur la vente à découvert, qui donne à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) le pouvoir d'intervenir en urgence sur les marchés financiers des États membres pour réglementer ou interdire la vente à découvert.

Selon l'avocat général, ces pouvoirs donnés à l'AEMF vont «au-delà» des objectifs d'harmonisation du marché intérieur et enfreignent la souveraineté nationale.

M. Jääskinen a néanmoins laissé ouverte une brèche pour les partisans de la réglementation sur les ventes à découvert, en reconnaissant dans ses conclusions qu'une action de l'UE dans ce domaine est «clairement nécessaire».

La vente à découvert consiste à emprunter un actif dont on pense que le prix va baisser et à le vendre, avec l'espoir d'empocher une différence au moment où il faudra le racheter pour le rendre au prêteur.

Elle peut aussi se pratiquer «à nu». Dans ce cas, l'acheteur n'emprunte rien: il se contente de vendre à terme des titres qu'il ne possède pas encore. Il parie alors sur la baisse du cours de ce titre, pour pouvoir l'acheter moins cher que le prix auquel il a promis de le vendre. Si elle est pratiquée massivement, cette technique peut provoquer la baisse des cours souhaitée par les vendeurs.

Cette pratique financière jugée en partie responsable des mouvements spéculatifs sur les marchés a été mise en cause pendant la crise financière de 2008 et aux débuts de la crise de la dette souveraine.

La réglementation européenne donne le pouvoir aux autorités de marché nationales «d'imposer des restrictions à la vente à découvert en cas de situation exceptionnelle menaçant la stabilité financière ou la confiance des marchés dans un État ou dans l'Union».

Elle oblige également les opérateurs qui recourent aux ventes à découvert «à nu» sur les actions et les obligations d'État à fournir la garantie qu'ils pourront bien livrer les titres qu'ils promettent. Elle donne enfin à l'AEMF des pouvoirs d'intervention, juridiquement contraignants, sur les marchés financiers des États membres en cas de menaces qui pèsent sur «le bon fonctionnement et l'intégrité des marchés financiers ou sur la stabilité de l'ensemble ou d'une partie du système financier à l'intérieur de l'Union».

Lors de l'adoption du règlement, le législateur avait expliqué qu'il s'agissait de résoudre les problèmes posés par l'existence de mesures divergentes entre les différents États de l'Union. «L'approche fragmentée au sein de l'UE limitait l'efficacité des mesures adoptées et conduisait à des arbitrages réglementaires», avait ainsi indiqué les ministres européens des Finances lorsqu'il avait adopté le règlement commun en février 2012.

Même si les conclusions de l'avocat général ne lient par la Cour européenne de justice, la CEJ qui rendra son arrêt à une date ultérieure, suit son avis dans la plupart de cas.