Il y a un an presque jour pour jour, la planète économique enregistrait son pire choc sismique en plusieurs décennies. Lehman Brothers, la vénérable banque d'affaires new-yorkaise, déclarait faillite après 158 ans d'existence. Une fermeture qui a cristallisé la déroute des marchés. L'industrie financière a-t-elle tiré des leçons de cette cris

Mai 2008. Le restaurant Novecento, dans le quartier Soho à New York, est couru par les jeunes professionnels branchés. Impossible ou presque d'y dénicher une table, même en milieu de semaine, se rappelle Bruno Caron, actuaire chez Towers Perrin à Manhattan. Quatorze mois plus tard, tout avait changé. «J'y suis retourné, un week-end, et il n'y avait absolument personne, ni dans les restaurants autour! Ça a été un peu un choc», raconte le jeune Québécois. L'économie florissante de Manhattan, épicentre de la finance mondiale, a connu un freinage brutal le 15 septembre 2008, quand le géant Lehman Brothers a déclaré faillite après 158 ans d'existence. Mais l'onde de choc ne s'est pas limitée à la Grosse Pomme. Un an après cette chute spectaculaire, l'économie mondiale se relève péniblement de son plus fort recul depuis la Grande Crise de 1929.

Des millions d'emplois se sont évaporés partout sur la planète. Des dizaines de banques et des centaines de fonds d'investissement ont été rayés de la carte. Les gouvernements de nombreux pays ont lancé d'ambitieux plans de relance à coups de milliards, mais leurs effets à long terme ne sont pas encore clairs. Dans tout ce brouillard, une seule chose apparaît certaine : l'industrie de la finance ne peut plus faire les choses comme avant. A-t-elle seulement appris de la chute de Lehman Brothers?

«On est encore en train de tirer des leçons», résume Philipp Schnabl, professeur de finance à la New York University et coauteur du livre Restoring Financial Stability, en entrevue à La Presse Affaires.

La leçon des PCAA

Il faudra sans doute des années pour bien voir à quoi ressemblera l'industrie financière «post-Lehman». Mais de nombreux changements ont déjà été amorcés depuis la faillite spectaculaire de la banque d'investissement. Au premier chef, la mise en place -complexe- d'un encadrement plus strict des marchés, qui ont opéré pendant des années dans le laisser-aller.

«Lorsque Lehman a sauté, on s'est aperçu qu'il y avait une opacité dans le système, un manque de transparence, souligne Stéphane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale. C'était clairement quelque chose de défaillant dans le système.»

À la surprise générale, divers produits financiers obscurs comme les PCAÀ (papiers commerciaux adossés à des actifs) ont réussi à contaminer l'ensemble du système, rappelle M. Marion. «Les autorités avaient sous-estimé les vases communicants. Ça a été une révélation pour les autorités qui n'avaient jamais soupçonné l'impact que pouvait avoir sur l'économie réelle cette intégration des marchés financiers.»

Washington, comme l'ensemble des pays du G20, souhaite maintenant encadrer de façon beaucoup plus stricte le fonctionnement des marchés. La réunion du G20 tenue la semaine dernière à Londres a d'ailleurs débouché sur un plan ambitieux. L'objectif : surveiller de près les transactions, particulièrement celles qui se négocient hors cote (over-the-counter). Histoire d'éviter une répétition du fiasco des PCAA.

«On parle de produits tiercisés qui seront beaucoup plus standardisés, beaucoup plus échangés sur les marchés des échanges que over-the-counter, entre deux parties, dit Pascal Gauthier, économiste au Groupe financier TD. C'est une tendance de plus en plus importante qu'on va voir, pas seulement pour les hypothèques, mais pour l'ensemble des produits dérivés.»

Le taux de capitalisation requis par les banques américaines sera aussi considérablement augmenté, pour réduire l'effet de levier qui a mené à tant de dérapages. Ces institutions devront détenir en propre 10 à 12 % de capitaux, explique Pascal Gauthier, ce qui s'approche des standards appliqués par les banques canadiennes. «Préalablement, ils étaient dans le 5 % à 7 %.»

La réforme de Wall Street est débattue en ce moment même à Washington, et plusieurs ficelles restent à attacher. Certains commencent toutefois à craindre qu'elle soit éclipsée par un autre débat qui passionne – et déchire – au plus haut point les Américains : la refonte du système d'assurance santé.

D'autres appréhendent par ailleurs de voir un encadrement trop strict étouffer les marchés, une fois qu'il sera mis en place. «On n'a pas besoin d'une réglementation plus lourde, mais d'une régulation légère qui est véritablement appliquée», estime Philipp Schnabl, de la New York University.

Retour des mauvaises habitudes?

Si l'industrie financière est loin d'avoir retrouvé sa vigueur d'antan, il est clair que la forte remontée boursière des derniers mois a injecté un enthousiasme indéniable sur les marchés – et des milliards dans les coffres des banques. Plusieurs institutions qui avaient reçu des milliards d'aide financière de Washington ont remboursé leurs prêts, ce qui les libère des contraintes quant à la rémunération de leurs dirigeants. Les gros salaires ont fait leur retour dans plus d'une boîte.

Le regain boursier a aussi entraîné l'arrivée de nouveaux produits dérivés exotiques, ce qui inquiète plusieurs observateurs. L'appétit pour le risque est de retour, en somme. Et la possibilité de reprendre les vieilles habitudes n'est pas bien loin. «Les banques ont le sentiment que si quelque chose tourne mal, les contribuables seront là pour ramasser la facture, et c'est très dangereux», avance Philipp Schnabl.

Reste qu'il ne faut pas décourager complètement «l'innovation financière» et la création de nouveaux produits financiers, selon Stéphane Marion, de la Banque Nationale. «Ce n'est pas toujours mauvais, en fait, ça peut être souhaitable à long terme. Ce qu'on a appris, c'est l'innovation financière dans un contexte de laxisme ou d'opacité, c'est ça qui est dangereux.»

L'économiste est en outre persuadé que les investisseurs ont bien appris leur leçon. «Étant donné l'ampleur de la crise et des pertes encourues, je serais surpris que les gens reviennent aux mêmes habitudes qu'avant, d'acheter quelque chose sans le comprendre, dit-il. Lorsque le rendement est trop beau pour être vrai, il y a peut-être anguille sous roche.»