À terme, les déboires de la Caisse de dépôt et placement (CDP) en 2008 ne coûteront pas 40 milliards de dollars aux contribuables. Plus de la moitié de cette somme, soit 22 milliards, est constituée de provisions, d'écritures comptables qui ne se matérialiseront jamais. «La Caisse n'est pas en péril, elle est là pour longtemps», soutient l'ancien président de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau.

Après six heures de témoignage devant la commission parlementaire spéciale chargée de scruter les résultats catastrophiques de la CDP l'an dernier, M. Rousseau a voulu se faire rassurant. À la fin de 2008, les conventions comptables ont forcé la Caisse à prévoir de lourdes pertes dans son portefeuille immobilier. Or, ces actifs continuent à apporter des recettes croissantes à la Caisse. Et comme il n'est pas question de les vendre, personne ne devrait s'inquiéter de leur valeur au 31 décembre dernier. Il faudra cinq ou six ans pour se faire une opinion solide quant à l'impact de l'année dernière sur les chiffres de la CDP.

Peu de réponses, selon le PQ

Toutefois, selon le critique financier du PQ, François Legault, c'est faire peu de cas de la performance de la CDP, comparée à celle de ses concurrents. «Vous achetez une action 10 $ et elle ne vaut plus que 6 $. Vous avez perdu 4 $. Tout le monde comprend ça. Et pire encore vos compétiteurs n'ont eux perdu que 3 $ !» a lancé M. Legault.

En vain, M. Legault a tenté d'en savoir davantage sur les jours qui ont précédé l'apparition, le 9 août 2007, des problèmes de liquidités pour les papiers commerciaux adossés à des actifs. Des enregistrements des conversations entre courtiers et gestionnaires de portefeuilles démontrent que ceux qui vendaient ces produits de plus en plus douteux mettaient en garde les employés de la Caisse sur les conséquences de leur geste, a révélé mardi M. Legault.

Selon le PQ, le peu de réponses données par M. Rousseau devrait pousser le gouvernement à déclencher une commission d'enquête ou une investigation poussée du vérificateur général sur les causes des déboires de la CDP. Et, selon François Bonnardel, de l'ADQ, il est clair qu'une commission d'enquête est nécessaire, tant les réponses des dirigeants actuels et passés de la Caisse ont été, depuis deux semaines insatisfaisantes.

Mais à plusieurs reprises mardi, M. Rousseau s'est retrouvé sur la sellette en commission parlementaire et a dû se défendre d'avoir «quitté le navire», en mai 2008, à quelques mois de la «tempête parfaite» qui allait frapper les marchés boursiers à l'automne. En fin de journée, il soutenait «penser à chaque jour aux papiers commerciaux» et soutenait qu'il serait resté à la barre de la Caisse s'il avait pu prédire l'avenir.

«Les papiers commerciaux, c'est une erreur. Comme si vous allez à bicyclette, ne regardez pas en avant et rentrez dans le mur... c'est une erreur», a soutenu M. Rousseau, un peu exaspéré devant les journalistes après son long témoignage mardi. Il reste convaincu que les 6 milliards de provisions pour perte sur les 13 milliards de papiers toxiques ne seront pas nécessaires. Après 18 mois de tourmente, les pertes réelles sur ce produit ne sont que de 181 millions, insiste-t-il.

Et, surtout, précise-t-il, les rentrées, les revenus courants de la caisse sont restés élevés, à 5,8 milliards en 2008, comparativement à 6,2 % l'année précédente. «Ce qui est important pour payer les chèques de pension, c'est l'argent qui rentre dans le cochon. L'immobilier peut être dévalué, mais les loyers rentrent pareil», illustre-t-il. Les recettes demeurent en dépit d'un recul sur la valeur des actifs, a-t-il souligné, rappelant que les recettes de l'aéroport de Londres, détenu par la Caisse, avaient augmenté de 40 % cette année par rapport à l'an passé.

Sans «l'erreur» des papiers commerciaux, le rendement sur cinq ans, de 2004 à 2008 aurait été près du premier quartile - le peloton de tête des fonds comparables au Canada -, «même en pleine tempête la Caisse demeure solide», de soutenir l'ancien patron.

Le ton monte

Le ton a singulièrement monté quand le seul député de Québec solidaire, Amir Khadir, l'a accusé de «lâcheté» pour avoir opté pour le privé, une vice-présidence chez Power Corporation, à quelques semaines de la crise boursière. Pour M. Khadir seule la «cupidité» peut expliquer les salaires énormes qui se sont versés dans les milieux financiers en dépit des contre-performances réalisées. «Vous êtes de ces nouveaux monarques qui se croient tout permis», a lancé le député de Mercier.

Même le député libéral de Montmorency, Raymond Bernier, avait lancé le débat en demandant d'entrée de jeu à M. Rousseau : «Pourquoi avoir ainsi quitté le navire?».

Piqué, M. Rousseau a répliqué qu'il ne pouvait accepter qu'on dénigre ainsi son travail et la contribution des employés de la Caisse, qui acceptent des sacrifices monétaires pour le bien de l'ensemble des déposants québécois. Il a souligné qu'à la barre de la Caisse, «il n'avait initié ni autorisé» aucune transaction qui aurait été à l'avantage de son futur employeur. Au contraire, la Caisse, dans une assemblée d'actionnaires, avait manifesté son opposition à des décisions proposées par le conseil de Power, a-t-il rappelé.



Une pratique dénoncée


Selon François Legault, l'ancien président de la Caisse n'a pas pu expliquer pourquoi, dans la plupart des portefeuilles, sur les cinq dernières années, la Caisse a fait moins bien que les indices. Même pour l'année 2008, les orientations de placements n'ont pas varié après le départ du président.

De plus, le portefeuille des placements privés, où la Caisse a réalisé 10 %, tandis que l'indice reculait de 3 %, a été dopé par une sous-évaluation du placement dans Quebecor Media, ramené à 436 millions de dollars en 2002 - une radiation de 1,5 milliard. L'évaluation du placement l'a ramené à 2 milliards cinq ans plus tard, ce qui a gonflé artificiellement le rendement de ce portefeuille, estime M. Legault. Le portefeuille de répartition de l'actif, qui spéculait sur les taux d'intérêt, selon lui a perdu 2 milliards. La Caisse avait investi tout cet argent avec seulement 90 millions d'avoir, a soutenu M. Legault, rappelant que le nouveau patron, Michael Sabia, avait pris ses distances de telles pratiques, d'effet «levier» décuplant le risque.

Selon M. Rousseau le niveau global d'emprunt - l'effet de levier - était remonté rapidement à 58 % en 2008, simplement parce que la valeur des actifs avait diminué. Il y a deux semaines, Michael Sabia avait soutenu que le risque de l'effet de levier était trop élevé, c'est-à-dire que la Caisse empruntait trop pour investir plus qu'elle n'avait d'actifs. Or, pour 2006 et 2007, la Caisse avait réduit considérablement le poids relatif de ces emprunts.

M. Rousseau s'est défendu d'avoir quitté la barre au moment où la tempête financière se pointait. En mai 2008, tous les indicateurs économiques étaient favorables, a-t-il insisté. De plus, dès sa nomination en 2002, il avait prévenu qu'il ne ferait qu'un mandat. Dans des entrevues accordées à l'époque, il avait promis qu'il serait ailleurs à la soixantaine, a-t-il rappelé.

Sur les papiers commerciaux, assermenté, M. Rousseau a affirmé qu'il avait arrêté toutes les transactions dès qu'il avait été mis au courant des problèmes de liquidités, le 9 août 2007. La Caisse s'est retrouvée avec 13 milliards de ces papiers toxiques. La semaine dernière, devant la commission parlementaire, Richard Guay, ancien patron de la CDP, avait reconnu qu'il s'en était acheté encore entre le 24 juillet et le 13 août avant que l'alarme ne soit sonnée. François Legault a tenté en vain de connaître les trois ou quatre employés responsables - un seul nom est tombé, celui de Luc Verville, leur ancien patron qui a quitté la CDP.