De plus en plus contesté, l'autocratique Kenneth Lewis, qui dirige d'une main de fer Bank of America (bac), va faire face mercredi à une assemblée générale houleuse, plusieurs gros actionnaires de la banque ayant publiquement réclamé sa tête.

Deux gros fonds de pension californiens, dont le très respecté CalPERS, mèneront la fronde: ils ont pris la tête des procédures judiciaires intentées en nom collectif à l'encontre de M. Lewis.

Leurs griefs: que les actionnaires aient été maintenus dans l'ignorance sur l'importance des pertes de Merrill Lynch, lorsqu'il leur a fallu se prononcer le 5 décembre sur le rachat de la banque d'affaires.

Un mois plus tard, ils découvraient abasourdis l'énormité des pertes de la la nouvelle filiale: 15,5 milliards de dollars sur le seul quatrième trimestre.

La justice new-yorkaise a révélé la semaine dernière que M. Lewis avait bien voulu renoncer à son acquisition, mais qu'il avait été contraint d'y procéder par les autorités fédérales, pour sauver son poste.

M. Lewis, lui, a indiqué publiquement qu'il s'était laissé convaincre parce que le président de la Réserve fédérale Ben Bernanke et le secrétaire au Trésor de l'époque Henry Paulson craignaient que l'annulation de cette fusion déclenche une nouvelle panique dans tout le système financier

Ce faisant, ont noté plusieurs analystes, M. Lewis a fait passer au second plan les intérêts de ses actionnaires.

«Bernanke et Paulson ont poussé Lewis à trahir la confiance de ses actionnaires, de ses clients, de ses employés», soulignait vendredi l'analyste Douglas McIntyre, sur le site 247WallSt.com.

«Bank of America est sur la liste des banques mortellement malades, qui pourraient devoir être démantelées ou nationalisées, depuis l'achat de Merrill. En soi, cela a coûté aux actionnaires des milliards de dollars», ajoutait-il.

De quoi garantir de l'animation, lorsque M. Lewis affrontera ses actionnaires mercredi à 10h00 à Charlotte (Caroline du Nord, sud-est de États-Unis), berceau de la banque provinciale qu'il a transformée en numéro un américain de la finance par les actifs.

Depuis l'intégration de Merrill Lynch au 1er janvier, l'action Bank of America a perdu les deux-tiers de sa valeur. Le mois dernier, le cours s'est un peu rétabli, poussé par le rebond de mars à Wall Street, mais le titre était de nouveau attaqué mardi: il perdait 6,84% à 8,31 dollars vers 12h00.

Les actionnaires se trouvent désormais sous la menace d'une nationalisation au moins partielle: selon le Wall Street Journal un «test de résistance» mené par les régulateurs a révélé que Bank of America n'avait pas la force nécessaire pour résister à une éventuelle aggravation de la crise.

Pour les analystes de la Deutsche Bank, «une forte levée de capitaux est possible à cours terme. Cela pèserait sans doute sur le titre, car il n'est pas clair pour nous que Bank of America puisse lever des capitaux sans l'aide du gouvernement».

Ce qui laisse la possibilité que l'Etat, qui a déjà injecté 45 milliards de dollars dans Bank of America, fasse comme pour son concurrent Citigroup et monte directement au capital, diluant les actionnaires existants.

Au grand dam sans doute de Ken Lewis, un financier de 53 ans d'origine modeste décrit par un proche comme «la personne la plus farouchement compétitive» du secteur.

Cela dit, dans la mesure où les principaux actionnaires de Bank of America sont des institutionnels, l'assemblée générale risque d'offrir plus de spectacle que de changement. Comme le relevait Gregori Volokhine, chez Meeschaert New York, «pour le moment, on n'a encore jamais vu d'institutionnel voter contre le management» d'une grande banque.