Des cadres de Jean Béliveau, Sidney Crosby et Terry Bradshaw ornent les murs du bureau de Frédéric Lachance, dans une tour à bureaux montréalaise. Mais quand les gens entrent dans son bureau, c'est pour discuter de choses autrement moins divertissantes que le sport. C'est que leur situation financière est critique. Et qu'ils ont besoin d'aide pour s'en sortir.

Frédéric Lachance est syndic de faillite chez Appel&Cie. Ce n'est peut-être pas de bon ton de le dire comme ça, mais il a enregistré en février son meilleur mois depuis qu'il pratique le métier, en 1992.

 

«C'est le mois le plus achalandé que j'ai connu, préfère-t-il dire. Par les temps qui courent, je trouve à peine le temps d'aller dîner.»

M. Lachance reçoit La Presse Affaires dans son bureau pour discuter de ce métier qui va bien quand tout va mal, et qui fonctionne au ralenti quand l'économie est bien portante.

«Si on recule deux ans en arrière, disons que notre marché n'était pas en croissance», dit M. Lachance, qui se concentre sur les faillites personnelles et les faillites de PME.

Mais dans les derniers mois, la situation financière de plus d'entreprises et de particuliers québécois s'est détériorée au point d'atteindre la faillite (voir autre texte).

«Pendant quatre ou cinq ans, nous n'avions pas vraiment de dossiers de maisons. On a recommencé à en avoir dans les derniers mois», note d'ailleurs M. Lachance.

Le syndic s'attend à d'autres années très occupées, avec une récession dont les effets s'étendront bien après sa fin.

Jamais facile

Les pertes d'emplois et les réductions de travail ont acculé certaines personnes au pied du mur. «Une diminution de 25% du salaire, ça peut faire très mal dans un budget», dit M. Lachance.

Dans d'autres cas, les consommateurs qui consultent le syndic sont pris à la gorge par un crédit surutilisé. Et, plus souvent qu'on peut le penser, des problèmes de jeu poussent les gens vers le surendettement... et vers le syndic.

Si les affaires vont bien sur le plan professionnel, M. Lachance ne se réjouit pas de la situation personnelle des gens qui le consultent.

«Ceux qui sont en difficulté financière ont parfois de gros problèmes qui mènent à la dépression ou à d'autres problèmes de santé, rappelle-t-il. Des hôpitaux m'envoient parfois des gens.»

Criblés de dettes, parfois harcelés par les agences de recouvrement, les gens aux prises avec trop de créances pour leurs moyens ne l'ont pas facile. «Parfois, une famille de quatre peut manger pour 30$ par semaine afin de payer les créanciers.»

Les problèmes financiers et la faillite sont des sujets moins tabou qu'ils l'ont déjà été, soutient M. Lachance. «Les gens commencent à savoir qu'il existe des ressources.»

Mais pour plusieurs, demander de l'aide n'est toujours pas une décision facile. «Certains attendent parfois trois ans avant de venir nous voir», indique le syndic.

Ils sont craintifs, s'imaginant parfois que la visite chez le syndic signifiera nécessairement la perte de leurs biens. «Il y en a qui ont déménagé leurs meubles, voire leurs ustensiles, avant de venir me voir», dit-il.

«Les gens sont très nerveux quand ils entrent dans mon bureau, raconte M. Lachance. Je fais un peu le psychologue. Parfois, ils pleurent. C'est une épreuve pour eux.»

«Mais en tant que syndic, on se rend compte qu'on aide les gens. C'est comme ça qu'on va chercher une gratification.»

Un assainissement

Au moment du passage de La Presse Affaires dans les bureaux d'Appel&Cie, un ancien client de M. Lachance était sur place pour épauler une amie, qui vit des difficultés comme il en a lui-même connu il y a quelques années.

«J'ai vécu le stress des dettes, celui d'être toujours sur ses gardes», raconte-t-il. Il se félicite aujourd'hui d'avoir pris la décision de se rendre chez le syndic. La meilleure option pour lui était de déclarer faillite.

«Tu renais, tu refais surface, tu recommences à construire, dit-il aujourd'hui. La faillite, ce n'est pas quelque chose de sale ou de mauvais. Au contraire, c'est un assainissement. Mais les gens ne le font pas. Ils ne savent pas quels sont leurs droits et vivent des moments extraordinairement difficiles.»

«Il n'y a pas à avoir honte, insiste-t-il. Regardez ce qui arrive à GM!»