Le procès de deux membres d'une secte dissidente de l'Église mormone, inculpés par le procureur général de Colombie-Britannique pour avoir pratiqué la polygamie, pourrait avoir un impact jusque dans les milieux financiers.

Le secteur des assurances pourrait sans doute s'accommoder assez facilement de la polygamie, mais ce serait certainement plus compliqué pour ce qui est des caisses de retraite, soutient Steven G. Kelman, conseiller en investissements et président d'une firme-conseil en fonds de placement.

 

Dans un texte publié sur le site de la firme Morningstar Canada, l'auteur et formateur se demande simplement: «Si jamais ça se produisait...»

Car en inculpant Winston Blackmore, marié à 20 femmes, et James Oler, marié à deux femmes, le procureur général de Colombie-Britannique ouvre un dossier qui pourrait mener, théoriquement, à la décriminalisation de la polygamie. La défense fait valoir que l'interdiction de la polygamie restreint la liberté de religion.

Dans l'hypothèse où la polygamie ne serait plus criminelle - il est raisonnable de penser que ça n'arrivera pas, a toutefois dit un avocat spécialisé à La Presse en janvier - cela exigera probablement des changements dans les lois sur les régimes de retraite, dans les REER et dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

De nouvelles questions

«Dans l'état actuel des règles en vigueur, il ne peut y avoir qu'un seul conjoint survivant bénéficiaire d'une rente de retraite», rappelle M. Kelman.

«Si la polygamie devient légale, la reconduction libre d'impôt de l'actif des conjoints sera-t-elle offerte à tous les conjoints survivants, d'un sexe comme de l'autre? demande M. Kelman. De même, si deux conjoints meurent en même temps, les conjoints survivants verront-ils reconduits à leur profit les REER des défunts?»

M. Kelman demande aussi comment sera répartie entre les épouses une rente après le décès du mari, dans le cas où une compagnie d'assurances accepterait de verser un revenu pendant la vie de tous les conjoints.

Ce serait donc très complexe. «Mais rien n'est insurmontable, dit M. Kelman en entrevue avec La Presse Affaires. Avec les ordinateurs, tout se calcule.»

Steven Kelman se fait pragmatique: «Je ne m'attends pas à ce que nos grandes banques et compagnies d'assurances se bousculent au portillon pour être les premières à proposer des REER de groupe pour conjoints, parce que je ne pense pas que ce sera un créneau très important sur le marché.»

Une police à plusieurs épouses?

Si la polygamie serait assez ardue à gérer pour les régimes de retraite, elle le serait moins pour l'assurance, croit M. Kelman. «L'industrie des assurances est déjà bien équipée pour gérer une multiplicité de conjoints», dit-il.

«Les compagnies d'assurances ont appris il y a belle lurette à s'adapter aux besoins changeants de leurs clients et au fait que de nombreux clients avaient deux familles ou plus, ou des enfants à l'extérieur du mariage, ce qui génère des responsabilités financières requérant une assurance.»

Selon Yves Millette, vice-président aux affaires québécoises de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, les polices familiales en assurance collective pourraient servir de base à une version polygame.

«Ça deviendrait simplement une question d'informatique parce que les contrats ne sont pas faits pour ça présentement.»

Ainsi, une prime payée actuellement pour couvrir conjoint et enfants pourrait alors servir à couvrir plusieurs conjoints et les enfants. Si les lois changent, bien évidemment.

Mais il est difficile de savoir à quoi ressemblerait la valeur des primes, souligne M. Millette. «Les primes sont basées sur l'expérience. Et nous avons zéro expérience pour les doubles conjoints. Donc, ça prendrait quelques années avant qu'on soit capable d'établir une prime.»