En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion.

Les sociétés humaines sont construites sur l'idée que nous avons tous des intérêts différents mais pour ne pas nous détruire mutuellement, il nous faut accepter des mécanismes communs de réconciliation de ces intérêts, les institutions.Nous faisons tous implicitement un acte de foi, qui veut que le comportement altruiste, ou du moins modérément altruiste est la meilleure façon de sauver tout le monde (Selznick, 1990). Si nous doutions de nos institutions, nous ne pourrions plus les faire respecter.

Le comportement économique sauvage nous pose alors de grands problèmes. Les excès suggèrent que le respect des institutions est moins important que la poursuite de l'intérêt personnel et égoïste. Ceux qui profitent de leurs positions de pouvoir favorables pour des intérêts immédiats, sans considération pour les rapports à long terme avec les autres, détruisent aussi sûrement que s'ils mettaient le feu à la maison.

Les études génétiques suggèrent que les gènes ne survivent pas individuellement mais en groupe. Cependant, même pour les gènes, cette évidence n'amène pas automatiquement de comportement raisonnable.

Dans son livre sur le Gène égoïste, Dawkins (1987) expliquait: «L'individu-sélectionniste admettra que les groupes en fait meurent et, qu'un groupe disparaisse ou non est influencé par le comportement des individus dans ce groupe. Il pourrait même admettre que si seulement les individus du groupe avaient le don de clairvoyance, ils pourraient voir qu'à long terme leurs intérêts dicteraient qu'ils réduisent leur avidité égoïste, pour éviter la destruction de l'ensemble du groupe...

Un processus lent

Mais l'extinction du groupe est un processus lent comparé avec la rapidité des actions qu'implique la compétition entre individus. Même lorsque le groupe est doucement et inexorablement détruit, les individus égoïstes prospèrent à court terme aux détriments des altruistes... (p.8. Traduction de l'auteur).

Il est tout à fait probable que si nous ne maîtrisons pas de manière institutionnelle le comportement économique égoïste, nous allons donner raison aux généticiens. Le système financier et ses multiples mécanismes ont été des stimulateurs de la créativité économique et technologique. Mais ils lui posent aussi son plus grand défi. Poussés à l'extrême, ils produisent comme nous l'avons vu une sorte de paradoxe d'Icare (Miller, 1990) et précipitent la chute de la civilisation.

Le mécanisme est simple. La déviance économique est un comportement sauvage qui entraîne une remise en cause des fondements moraux de notre société. Selznick (1990) argumentait que le comportement est moral lorsqu'il préserve la communauté. Quand les acteurs perdent la foi à propos des valeurs qui soutiennent leur communauté, quand ils n'y croient plus ou pensent que seule la poursuite de l'intérêt personnel est justifiée, alors ils détruisent naturellement la communauté. Si de plus, ils ont l'impression qu'ils ont été trompés, ils vont détruire la société délibérément.

Le feu du terrorisme est aujourd'hui alimenté justement par l'oxygène qui vient de la réalisation que le jeu est un jeu égoïste drapé dans des vêtements communautaires.

Dirigeants «Bon Pasteur»

Pour ce faire, nous avons besoin de promouvoir des dirigeants «Bon Pasteur», ayant des caractéristiques de chef d'État. Selznick (1957) avait aussi proposé une étude sociologique du leadership qui me paraît approprié pour la situation d'aujourd'hui. En étudiant des organisations exemplaires, il est arrivé à la conclusion que celles-ci ressemblaient aux personnes.

Elles ont une âme, les valeurs qui animent ses membres, et donc une capacité à s'adapter et à vivre dans la société, comparable à celle des personnes.

C'est là que le leadership intervient. Il est le coeur du développement, de la promotion, de la diffusion et de la protection des valeurs.

La diffusion des valeurs

Le processus de diffusion de ces valeurs nécessite le développement et la protection d'une élite qui en est porteuse.

Le dirigeant-leader est alors préoccupé d'abord par le développement des valeurs, puis par la construction d'une élite qui puisse les promouvoir.

Ces dirigeants ont un regard qui porte au loin, sont au service du groupe et tirent leur satisfaction de ce dévouement à la chose collective.

Comme les entreprises sont au coeur de la vie des sociétés, leurs dirigeants doivent répondre à ce calibre.

Lorsque Mintzberg argumente sur la nécessité de regarder de plus près ce que nous faisons en formant les MBA, c'est probablement à cela qu'il fait allusion.

Pour survivre, nous devons prêter attention au comportement moral des entreprises. Elles ne sont pas seulement créatrices de richesses.

Elles sont aussi des acteurs politiques de premier plan. Si elles se comportent de manière irresponsable, elles seront amorales ou immorales et détruiront nos sociétés.

L'auteur, Taieb Hafsi, est titulaire de la Chaire de management stratégique international Walter-J.-Somers à HEC Montréal, www.hec.ca/profs/taieb.2.hafsi.html.