Un gouvernement péquiste mettrait en place à la troisième année de son mandat une taxe « glouton » sur la rémunération totale des hauts dirigeants d'entreprises. Est-ce la bonne formule pour freiner la flambée des salaires ? Et cette mesure est-elle applicable ? La Presse a recueilli les commentaires de spécialistes et du Conseil du patronat du Québec.

« Pour donner le temps aux entreprises de changer leurs pratiques, explique le Parti québécois, la mesure ne s'appliquera qu'à la troisième année de notre mandat, à un taux de 10 %. À partir de la quatrième année, le taux sera de 25 %. »

Nicolas Marceau a apporté quelques précisions par courriel à la demande de La Presse. Selon lui, la mesure est applicable, parce que la rémunération des patrons des sociétés cotées en Bourse est déjà publique. Ce serait Revenu Québec qui aurait la responsabilité d'appliquer cette mesure.

Nicolas Marceau précise que le Parti québécois ne veut pas imposer de plafond salarial et laisser le choix aux entreprises. Mais si elles n'optent pas pour la modération, elles devront payer une taxe spéciale. Est-ce que cette mesure suffirait à stopper la flambée des salaires des hauts dirigeants ? « Ça va envoyer un message clair, et ceux qui ne veulent pas s'y conformer devront débourser », écrit-il par courriel.

STOPPER LA FLAMBÉE

Le spécialiste Jean-Pierre Ouellet, ex-associé chez Stikeman, ex-premier vice-président du CN et ex-vice-président du conseil de RBC Marchés des Capitaux, croit depuis longtemps qu'il faut s'attaquer à la croissance démesurée de la rémunération des hauts dirigeants, dont les performances n'ont pas nécessairement suivi une croissance d'amélioration exponentielle.

« Il y a des actionnaires institutionnels qui commencent à s'insurger contre les hausses des salaires complètement disproportionnées, complètement injustifiées. C'est scandaleux, a-t-il dit lors d'une entrevue téléphonique avec La Presse. Pour que la mesure du Parti québécois soit applicable, il faudrait toutefois qu'elle soit adoptée par les deux paliers de gouvernement, le provincial et le fédéral. Si toutes les provinces s'entendaient, oui, ce serait une mesure assez efficace. »

ÉLARGIR LA MESURE

Le professeur Michel Magnan, titulaire de la chaire de gouvernance d'entreprise Stephen A. Jarislowsky de l'Université Concordia, soutient que la fiscalité peut jouer un rôle dans la compression ou la réduction de croissance des rémunérations au sein d'une société. Or, il faudrait élargir la mesure proposée par le Parti québécois à toutes les professions.

« C'est le rôle de l'impôt de réduire ces inégalités, mais encore doit-il être appliqué de manière uniforme et équitable, dit-il. De plus, viser uniquement les entreprises privées québécoises pourra encore réduire la place du Québec au sein des marchés financiers et boursiers canadiens, certaines sociétés choisissant possiblement de se privatiser pour échapper à cette règle. »

Le Conseil du patronat du Québec abonde aussi dans le même sens.

« Je suis toujours fasciné comment on cible vite les gens du milieu des affaires, a affirmé Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec, en entrevue avec La Presse. Si on parle des hauts taux de revenu, il y a aussi les artistes, les athlètes, les joueurs de hockey. Est-ce que leur salaire est correct par rapport à l'ensemble des employés qui travaillent au sein d'une équipe ? Par exemple, avec celui qui passe la Zamboni ? »

L'ARGUMENT DES SIÈGES SOCIAUX

Le Conseil du patronat du Québec souligne au passage que le nombre de contribuables qui gagnent 250 000 $ et plus par année au Québec représente 0,7 %, selon les statistiques publiées en 2014 par le ministère des Finances. Il ajoute que ces contribuables payent 17 % de l'ensemble des impôts.

« On a déjà dit que dépassé 49 % de taux marginal d'imposition, c'était déjà limite, soutient Yves-Thomas Dorval. On est rendu à 53 %. On ne peut pas penser qu'on va bâtir une économie en punissant les gens qui gagnent de très hauts salaires. Tout ce qu'on va faire, c'est d'amener les gens à s'établir ailleurs. Les sièges sociaux vont aller s'établir ailleurs. »

L'argument du déménagement des sièges sociaux, souvent évoqué, ne tient pas la route, selon le spécialiste Jean-Pierre Ouellet.

« Le siège social d'Air Canada est à Montréal de par la loi fédérale qui l'a privatisé, explique-t-il. La même chose pour le CN. Les banques, c'est pareil. Je vois mal comment Bell, Vidéotron et Cogeco déménageraient leurs sièges sociaux. Tandis que Bombardier, je crois qu'il y penserait deux fois, parce qu'à chaque cycle économique, il retourne voir le gouvernement pour se faire aider. »

- Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse