Dans une rare trêve en campagne électorale, les quatre principaux partis politiques ont fait front commun avec les agriculteurs afin de défendre la gestion de l'offre, vendredi, date butoir fixée par le président américain Donald Trump pour conclure le renouvellement de l'ALENA avec le Canada.

Au quartier général de l'Union des producteurs agricoles à Longueuil, le président Marcel Groleau a salué cette « pause » pendant la campagne qui, à ses yeux, envoie un signal clair que tout compromis à la gestion de l'offre serait inacceptable pour le Québec.

« On vit un moment historique. On le sait, avec un gouvernement américain qui est très agressif, on a besoin pour faire le poids d'être tous ensemble, de se serrer les coudes et d'être capable envoyer un message clair à l'équipe de M. Trudeau aux négociateurs », a-t-il lancé en conférence de presse aux côtés de Philippe Couillard (PLQ), Jean-François Lisée (PQ), Manon Massé (QS), Ghislain Gervais, président de la Coop fédérée, et la caquiste Sylvie D'Amours. Le chef de la CAQ, François Legault, était absent. Il était en campagne à Saguenay et a eu une conférence téléphonique avec M. Groleau un peu plus tôt. 

« Je crois qu'on a tous considéré, ceux ici présents, essentiel d'être ici aujourd'hui », a déclaré le premier ministre Couillard, décochant une flèche à son adversaire caquiste. Le chef libéral avait annoncé publiquement tard hier soir sa présence, lui qui avait déclaré plus tôt dans la campagne qu'il ne voyait pas d'intérêt à faire un « événement commun » avec les autres chefs au sujet de la gestion de l'offre comme le proposait Jean-François Lisée. 

« Je réponds à l'invitation de l'UPA », et non celle d'une autre formation politique, s'est-il défendu quelques minutes avant de prendre place sur la tribune du syndicat des agriculteurs.

« J'ai indiqué clairement à tous mes interlocuteurs, au Canada et aux États-Unis, que je vais défendre la gestion de l'offre jusqu'au bout, que je n'accepterais aucune entente qui ne soit pas acceptée par les producteurs et les transformateurs laitiers au Québec, a-t-il affirmé alors. Que je ne ferais aucune pression sur les producteurs et les transformateurs pour les amener à accepter, dans une sorte de monnaie d'échange qui serait fort mal placée, une entente qui ne les conviendrait pas. »

Le chef libéral a ajouté qu'il ne « déposerai[t] pas à l'Assemblée nationale un texte de traité qui ne reçoit pas l'assentiment de nos agriculteurs, nos producteurs et transformateurs laitiers en particulier ». Pour lui, ces propos signifient « la même chose » que ses déclarations récentes voulant qu'il n'accepterait quelque atteinte que ce soit à la gestion de l'offre.

« Je n'accepterais aucun changement qui n'est pas accepté par les producteurs », a-t-il dit lors d'un point de presse.

Le refus de déposer l'accord à l'Assemblée nationale aurait « un poids politique majeur » de la part du Québec, « deuxième province la plus importante du Canada ». « Quant au poids juridique, c'est difficile de juger tant qu'on n'a pas vu le texte (...) Il y a des éléments de juridiction qui sont exclusivement provinciaux ou québécois là-dedans et des éléments de juridiction qui sont mixtes », a-t-il précisé.

Il n'a pas eu de nouvelles fraîches sur l'état des négociations depuis la conférence téléphonique de jeudi convoquée par le premier ministre canadien Justin Trudeau.

Jeudi, « j'ai été extrêmement prudent dans mes propos parce qu'on a quelques bribes d'information, mais c'est très précoce et c'est très incomplet. Ça ne sert à rien de les mettre sur la place publique (...). (Justin Trudeau) a répété sa défense de la gestion de l'offre, maintenant l'important ce sont les détails. »

Pour la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, les partis politiques expriment un message de solidarité envers les producteurs. « Nous sommes tous là pour les agriculteurs parce que ce qui est en train de se passer présentement est extrêmement dangereux pour le Québec », a-t-elle dit.

Les productions assujetties à la gestion de l'offre (lait et ses dérivés, poulet, dindon et oeufs) représentent 40% des revenus agricoles du Québec, selon l'UPA.

« Le Québec est à risque », affirme Lisée

Pour Jean-François Lisée, il était nécessaire aujourd'hui que tous les partis politiques soient présents à Longueuil afin d'envoyer un message clair aux négociateurs américains et canadiens que le Québec parle d'une seule voix.

« Nous montrons une nécessaire unité de tous les partis (...) pour dire que nous sommes inconditionnellement avec nos agriculteurs », a déclaré d'un ton solennel M. Lisée. 

« Les concessions précédentes [que nous avons faites avec l'entente avec l'Europe et celle avec l'Asie] coûtent 30 000$ de revenus par année à nos agriculteurs », a rappelé le chef péquiste. Dans ce contexte, M. Lisée ne « déposera aucun accord qui n'aurait pas d'abord donné une compensation pleine et entière [aux] concessions déjà faites par nos agriculteurs » par le passé, a-t-il dit.

« Pour ce qui me concerne, je ne déposerai pas à l'Assemblée nationale un accord qui augmenterait les contingentements de produits laitiers au-delà de ce qui est déjà accepté dans l'accord transpacifique. (...) Je ne déposerai aucun accord qui démantèlerait les mécanismes de la gestion de l'offre », a dit M. Lisée.

Or, pour le président de la Coop fédéré, Ghislain Gervais, « le message aujourd'hui c'est [que nous demandons] le respect intégral de la gestion de l'offre. »

Alors qu'il visitait une ferme à Sainte-Marie-Madeleine moins d'une heure plus tard, Jean-François Lisée a alors affirmé que le nouvel ALENA ne devait faire aucune concession pour les producteurs laitiers du Québec, sans quoi, il ne le déposerait pas à l'Assemblée nationale. 

Dans la lettre qu'il a envoyée plus tôt cette semaine aux autres chefs de parti, et qu'il souhaite voir ratifiée de tous, M. Lisée écrivait que « l'Assemblée nationale ne ratifiera aucun accord qui augmenterait [les contingents de produits laitiers] au-delà des marges de manoeuvre déjà acceptées par le Canada dans l'accord transpacifique ».  

« On a fait assez de concessions. Il n'y en faut plus aucune. Que les autres en fassent ailleurs au Canada. (...) Dans l'ALENA, c'est rien. Zéro pour cent. Sinon, on ne le dépose pas et on ne le vote pas », a cette fois-ci dit le chef péquiste. 

Legault a-t-il été piégé ?

Après la conférence de presse, les chefs des partis présents à Longueuil ont insisté pour rappeler qu'ils avaient, eux, modifié leur horaire afin d'accepter l'invitation de l'UPA.  

« François Legault déçoit. Il a déçu sur l'éthique et il déçoit maintenant sur l'intérêt national. C'était une priorité pour moi d'être ici. J'étais censé être à Baie-Comeau, mais j'ai changé mon horaire parce que j'ai le sens des priorités », a martelé le chef péquiste Jean-François Lisée. 

À Saguenay, où il est arrivé jeudi, le chef caquiste a assuré que son absence de la conférence de presse n'était pas un signe qu'il se souciait peu de la défense de la gestion de l'offre.

« Aujourd'hui, mon message est clair : on ne doit faire aucun compromis sur la gestion de l'offre, a dit M. Legault. Ce n'est pas le temps de faire de la petite politique, c'est le temps d'être unanimes. »

Chantal Soucy, députée caquiste de Saint-Hyacinthe - qui était présente à Longueuil - s'est pour sa part interrogé si ses adversaires avaient piégé son chef pour qu'il soit absent.

« C'est l'impression que ça laisse. Par contre, le message qu'il faut retenir, c'est que mon chef a parlé à Marcel Groleau [le président général de l'UPA] (...) et que nous sommes plusieurs candidats et députés sortants caquistes présents aujourd'hui », a-t-elle dit. 

Sa collègue Sylvie D'Amours, porte-parole en agriculture et agricultrice elle-même, a défendu que la CAQ n'accepterait « jamais » des concessions à la gestion de l'offre. 

« Je ne crois pas [qu'on a voulu nous piéger]. Je suis sincère. Je pense qu'aujourd'hui, on peut dire que c'est une journée exceptionnelle pour voir que quatre partis ensemble. J'espère qu'on ne fera pas de partisanerie avec ça », a-t-elle affirmé.