S'il n'en tient qu'à Denis Gallant, les entreprises qui se réincarnent en se cachant derrière des structures, des sociétés à numéro ou, plus simplement, en utilisant leurs proches comme paravent pour obtenir des contrats publics auront la vie dure. Le premier président-directeur général de la nouvelle Autorité des marchés publics (AMP) promet de talonner ces «entreprises bandits».

Comme procureur en chef adjoint de la commission Charbonneau et, par la suite, comme inspecteur général de la Ville de Montréal - jusqu'à jeudi -, Denis Gallant a constaté à quel point certaines entreprises usaient de ruse pour se faufiler jusqu'au fil d'arrivée dans la course aux contrats publics. «Moi, j'ai des problèmes avec les entreprises bandits, celles qui continuent en se cachant derrière des compagnies à numéro. C'est à ça que je veux m'attarder», explique Denis Gallant en entrevue avec La Presse.

Nommé PDG de l'AMP par un vote aux deux tiers des voix à l'Assemblée nationale la semaine dernière, Denis Gallant entrera en poste le 25 juillet. Six mois plus tard, l'AMP devra être en place. Et «les entreprises réincarnées», comme il les appelle, c'est son «dada».

M. Gallant nuance toutefois en soulignant qu'en matière de droit des sociétés, une entreprise peut se transformer et devenir une nouvelle entité juridique. Mais la situation nécessite une grande vigilance, insiste-t-il. 

«Si des compagnies qu'on a citées à la commission Charbonneau, par exemple, ont fait un sérieux ménage, changé l'administration, adopté un code de conduite et que tout va bien, on ne va pas mettre 2000 personnes au chômage. Il faut que les travaux se fassent.»

Le contrôle pourra s'exercer notamment par le processus d'accréditation qui passera entre les mains de l'AMP, souligne M. Gallant. Depuis 2012, les entreprises qui souhaitent soumissionner des contrats publics, ont l'obligation d'obtenir une accréditation préalable auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). L'AMF passe le relais. Il en est de même pour l'étape de vérification de la probité des dirigeants d'entreprise, qui est assumée par l'Unité permanente anticorruption (UPAC); six employés de l'UPAC travailleront dorénavant pour l'AMP. Ces changements doivent se mettre en place d'ici janvier prochain.

«Je suis vraiment content de reconstruire quelque chose de A à Z. J'ai adoré faire ça ici. On a fait ça pendant la première année à la commission Charbonneau. C'est quelque chose qui me tente», affirme-t-il.

Lors de son arrivée au Bureau de l'inspecteur général (BIG), il y a presque quatre ans et demi, Denis Gallant avait construit l'équipe, donné les orientations et établi les façons de faire. Pour son passage à l'AMP, il bénéficie d'un comité de transition. Et c'est tant mieux, dit-il, car le territoire à couvrir est vaste et le défi, immense, souligne-t-il avec un large sourire.

Un mandat touffu

En effet, tous les contrats du gouvernement, de ses ministères et de ses organismes, des commissions scolaires, des établissements publics de santé, des sociétés d'État sont assujettis au pouvoir de surveillance de l'AMP. M. Gallant et son équipe (130 employés, dont 57 provenant notamment des services de vérification du ministère des Transports, des Affaires municipales, de l'UPAC et de l'AMF) devront s'assurer que les processus d'attribution de ces contrats se font dans les règles de l'art.

Denis Gallant a le pouvoir d'ordonner des modifications au Système électronique d'appels d'offres (SEAO), s'il considère qu'un appel d'offres limite la concurrence. Il pourra également annuler des appels d'offres. Et pour attribuer un contrat de gré à gré, il faudra que les donneurs d'ouvrage publics publient un avis sur le SEAO. Une équipe de veille suivra de près les mouvements.

«Ce sera un défi. [...] C'est comme dans tout, il va falloir y aller par priorité, surtout la première année», souligne le PDG.

Dès les premiers mois, l'AMP sera appelée à suivre particulièrement la gestion contractuelle au ministère des Transports, qui est le principal donneur d'ouvrage au gouvernement.

L'AMP, tout comme le BIG, devra également suivre de près l'exécution des travaux et prévoir une évaluation du rendement des fournisseurs. Cela pourrait entraîner des entreprises sur une liste grise comme il en existe une à Montréal. Chose certaine, le travail de terrain est essentiel, selon M. Gallant.

Les fonctions et les pouvoirs de l'AMP s'exercent à Montréal par le BIG. Les deux organismes devront procéder à la standardisation de leurs façons de faire au cours des prochains mois, explique M. Gallant.

Dans les autres municipalités, l'AMP aura un pouvoir de recommandation, et non pas d'intervention, question de respecter l'autonomie municipale. «Je veux que l'on joue un rôle d'accompagnateur surtout auprès des municipalités qui ont peu de ressources. Avec mon expérience de la commission Charbonneau, j'ai vu les problèmes dans les municipalités», mentionne-t-il.

Au plus tard en mai 2019, l'AMP devra avoir créé une ligne de dénonciation. Les plaintes reçues seront au coeur de l'action du nouvel organisme.

La continuité

Denis Gallant est en train de découvrir l'ampleur du travail qui l'attend. Son enthousiasme est palpable. Et il est bien conscient que son travail au BIG, et avant cela à la commission Charbonneau dont l'encadrement des marchés publics était la principale recommandation, a été une vitrine professionnelle importante. Mais l'envie de freiner la collusion, de prévenir les dérapages et de débusquer les problèmes est un mandat qui l'intéresse véritablement.

«Ça a servi de tremplin en termes de visibilité et de savoir. L'AMP, à beaucoup d'égards, ressemble à ce que l'inspecteur général fait à Montréal. Je ne m'en vais pas dans l'inconnu», souligne-t-il.

Denis Gallant quitte d'ailleurs avec fierté, dit-il, ses fonctions au BIG, malgré plusieurs critiques qui ont surgi en cours de mandat.

Ainsi, des entreprises ont dénoncé le peu d'espace qu'elles avaient pour défendre leur point de vue, allant jusqu'à dénoncer ce qu'elles ont appelé la justice populiste du BIG. Mais M. Gallant rappelle avoir importé de la Loi sur la justice administrative «le droit d'être entendu».

Quant à son dernier rapport sur la Formule E, il apparaît quelque peu sur la défensive. Il soutient ne pas avoir tardé dans ce dossier comme il lui a été reproché, puisqu'il restait deux ans au contrat sous analyse. Et l'échiquier politique montréalais a été transformé, rappelle-t-il.

Si Denis Gallant est bien conscient que ses rapports d'enquête ont écorché des entreprises et ont eu des effets sur des contrats et des emplois, en fin de compte, il estime qu'ils étaient nécessaires et ont réussi à changer les choses. Il entend faire de même à la tête de l'AMP.

EN CHIFFRES

7 ANS : Durée du mandat - non renouvelable - de Denis Gallant à la tête de l'Autorité des marchés publics (AMP)

215 000 $ : Le salaire du PDG de l'AMP. M. Gallant gagnait 277 000 $ au Bureau de l'inspecteur général

PLUS DE 17 MILLIONS : Le budget annuel que gérera Denis Gallant. Celui-ci aura sous ses ordres 130 employés