Journée douce-amère hier en cour pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans le dossier pour lequel l'ex-PDG d'Amaya David Baazov est accusé de délit d'initiés en lien avec l'acquisition, il y a quatre ans, de PokerStars pour 5 milliards US.

Le juge a rejeté la requête en arrêt du processus judiciaire pour communication tardive de la preuve, déposée par la défense plus tôt ce mois-ci, et indiqué que le procès allait débuter lundi prochain. Mais il a aussi vivement critiqué le travail de l'AMF.

Il a jugé inadmissible en preuve au procès l'interrogatoire d'une soixantaine de minutes réalisé il y a trois ans avec David Baazov durant une perquisition à son domicile de Dollard-des-Ormeaux.

Le juge Salvatore Mascia, de la Cour du Québec, a qualifié de « discutable » la façon dont la déclaration de David Baazov a été obtenue. « Et je pèse mes mots. Je n'irais pas jusqu'à dire [que c'est] troublant, mais il y a des aspects qui dérangent », a-t-il statué.

Plus tôt cette semaine, des enquêteurs de l'AMF ont été appelés à expliquer au juge dans quelles circonstances s'était déroulée l'intervention chez David Baazov. Le juge a également pu écouter l'enregistrement de l'interrogatoire avant de se prononcer sur l'admissibilité de cet élément de preuve potentiel.

Sept enquêteurs de l'AMF et un policier de la Sûreté du Québec avaient reçu une mission précise à accomplir à Dollard-des-Ormeaux le mercredi 16 septembre 2015. À 6 h 30 ce matin-là, l'opération était sur le point de débuter. Stationnés à proximité de la résidence de David Baazov, les agents observaient les environs.

À 7 h 15, quatre des huit membres de l'escouade sont débarqués de leur véhicule pour aller cogner à la porte. C'est un des quatre enfants de David Baazov qui a ouvert la porte aux côtés de la nounou, une dame d'origine asiatique. David Baazov était encore couché. Un des enfants est allé le réveiller. Vêtu d'un jeans déchiré et d'un t-shirt rose, David Baazov s'est présenté à la porte à son tour.

L'enquêteur responsable de l'intervention a alors procédé à la lecture du mandat de perquisition sans préciser qu'un interrogatoire allait suivre. La discussion s'est rapidement déplacée dans un bureau adjacent au hall d'entrée. Les enquêteurs voulaient d'abord confisquer le cellulaire de Baazov. Lui, c'est à son avocate qu'il souhaitait parler, ce que les agents lui ont permis de faire pendant quelques minutes.

Vers 7 h 45, la maison étant « sécurisée » - terme utilisé dans le jargon policier -, le responsable de la perquisition a alors fait signe aux quatre enquêteurs qui attendaient toujours dans leur véhicule de venir les rejoindre dans la maison. L'opération pouvait alors véritablement commencer. Pendant que deux enquêteurs-fouilleurs passaient la maison au peigne fin à la recherche d'appareils électroniques, deux enquêteurs passaient au salon pour interroger David Baazov.

Selon le juge, l'AMF aurait dû alors permettre de nouveau à David Baazov de communiquer avec son avocate avant que l'interrogatoire débute. Le magistrat souligne que l'AMF savait que David Baazov avait depuis longtemps reçu des consignes de ne pas se livrer à un interrogatoire sur une base volontaire.

La défense avait fait valoir qu'il s'agissait d'un plan dont le but spécifique était de bafouer les droits constitutionnels de David Baazov afin de rendre moins évidente pour lui la nécessité de consulter son avocat.

« J'insiste sur le fait qu'il [David Baazov] était en péril. Il serait inéquitable d'utiliser la preuve recueillie. Il y a eu violation de son droit à un avocat », a dit le juge.

ZÉRO EN DEUX

C'était par ailleurs la deuxième fois en trois mois, hier, que le juge rejetait une requête en arrêt du processus judiciaire visant à faire tomber le procès qui doit maintenant commencer au début de la prochaine semaine.

« Je ne vois pas de préjudice à un procès équitable, a dit le juge hier. Le cahier de procès énonce clairement la théorie de la poursuite. Les défendeurs la connaissent et sont préparés pour se défendre. »

Une requête Jordan en arrêt du processus judiciaire pour délais déraisonnables avait été déposée l'automne dernier avant d'être rejetée par la cour en janvier.

En plus de David Baazov, cinq autres personnes dans cette affaire sont accusées, notamment, de tuyautage, complot et manipulation de titres en lien avec l'acquisition de PokerStars.

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

David Baazov a été interrogé par l'AMF durant une soixantaine de minutes lors d'une perquisition effectuée à sa résidence de Dollard-des-Ormeaux en septembre 2015.