Groupe Juste pour rire (JPR) pourra être vendu à d'autres acheteurs que Québecor Média sans être restreint par de strictes clauses de conditions de vente que le géant des communications interprétait à son avantage. La Cour supérieure a rejeté, hier, l'injonction permanente de Québecor sur la vente de JPR, alors que les deux entreprises québécoises continuent de négocier une transaction.

La portée de deux clauses - de première offre et de premier refus - prévues à des ententes conclues en 2012 et 2017 est au coeur de ce complexe litige commercial et contractuel. La juge Marie-Anne Paquette conclut dans sa décision que Québecor a déjà exercé son droit de « première offre » en refusant la proposition de vente initiale de JPR en décembre dernier, mais conserve toujours son « droit de premier refus », d'une portée toutefois beaucoup plus limitée.

Québecor avait déposé une demande d'injonction permanente le mois dernier, au terme d'une période de négociations exclusives infructueuses entre les deux entreprises pendant le temps des Fêtes. Le processus de vente du géant québécois de l'humour s'est amorcé l'automne dernier, à la suite de la démission du propriétaire Gilbert Rozon, emporté par une tempête d'allégations de harcèlement et d'agressions sexuelles. Celui-ci a d'ailleurs témoigné, mercredi dernier, dans le cadre du litige contractuel.

Selon la juge, JPR n'a pas été de « mauvaise foi » en déposant sa « première offre » de vente à Québecor, le 10 décembre 2017.

« Les allégations de mauvaise foi que QMI formule à ce chapitre ne trouvent aucun écho substantiel dans la preuve. Le droit de première offre de QMI ne va quand même pas jusqu'à lui permettre d'exiger que JPR lui soumette une offre qu'elle est prête à accepter », souligne la juge Paquette. Une ordonnance de non-publication nous interdit de révéler le montant de cette offre.

De plus, cette « première offre » n'a pas établi de prix plancher pour tout le processus de vente de JPR, contrairement aux prétentions de Québecor, soutient la juge. Ainsi, JPR est libre de vendre ses actifs à quiconque à un prix inférieur à celui de la « première offre » de décembre dernier. Le cas échéant, Québecor pourrait toutefois utiliser la clause de « premier refus » pour contrer l'offre.

« L'interprétation que QMI propose mènerait à une situation aberrante et dénuée de toute logique commerciale, outre celle d'accorder un avantage nettement démesuré et inéquitable à QMI. [...] En pareil cas, QMI pourrait ultimement imposer à JPR de lui vendre pour une bouchée de pain - pourquoi pas donner - parce que JPR serait empêché de vendre à quiconque autre que QMI lors que des conditions inférieures à celles de la première offre sont envisagées. Cette interprétation défie toute logique », explique la juge.

LE DROIT DE « PREMIER REFUS »

Le second volet du litige contractuel portait sur le droit de « premier refus » de Québecor. À ce sujet, JPR peut être vendu à un tiers à des conditions supérieures à celles prévues à la « première offre » de Québecor, sans que ce dernier puisse utiliser son droit de « premier refus ».

« Ce souhait de [Québecor] découle d'un intérêt commercial évident et légitime. Qui ne voudrait pas d'une ultime chance de reconsidérer une acquisition avant qu'elle ne lui échappe et lors que tous les paramètres importants [...] ne sont plus des hypothèses, mais des éléments connus ? », soutient la juge. La clause de « premier refus » de Québecor s'applique donc seulement aux offres déposées par un tiers pour un montant inférieur à celui de la « première offre ».

Dans sa décision, la juge note que Québecor n'a pas orchestré ces demandes « pour entraver le processus de vente ». « JPR n'a pas non plus démontré, comme elle l'allègue, que les demandes et décisions de QMI [visent à] éliminer les concurrents intéressés, dans le but ultime d'acheter JPR à une fraction de sa valeur. »

Québecor s'est dit « déçu » hier soir par la décision de la juge Paquette. Néanmoins, le vice-président principal et chef des affaires juridiques et publiques de Québecor, Me Marc Tremblay, s'est réjoui, dans un communiqué, que la juge ait infirmé les « principales prétentions » de JPR. « Nous sommes ainsi heureux de voir la Cour reconnaître notre droit de première offre et notre droit de premier refus, lequel empêche Juste pour rire de vendre à un tiers à des conditions plus favorables que celles de l'offre qu'elle nous a fait en respect de notre droit de première offre », a-t-il indiqué.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le Groupe Juste pour rire toujours détenu par Gilbert Rozon.