Ce n'est pas toujours simple de distribuer les pourboires entre les employés d'un restaurant. Parlez-en au restaurant Les Enfants Terribles au sommet de la Place Ville Marie, qui se retrouve au coeur d'un litige civil de 358 621 $.

Au nom de 113 employés et ex-employés du restaurant, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a déposé le 11 décembre dernier une poursuite civile contre l'entreprise Au Sommet Place Ville Marie, qui exploite l'observatoire et une franchise du restaurant Les Enfants Terribles.

La CNESST allègue que l'employeur a imposé une convention de pourboires aux employés, ce qui est interdit par la Loi sur les normes du travail, qui dit qu'une telle convention « doit résulter du seul consentement libre et volontaire des salariés qui ont droit aux pourboires ». 

L'organisme prétend notamment que certains employés auraient dû recevoir le salaire minimum général, et que d'autres employés auraient ainsi eu droit à des pourboires plus importants. La CNESST allègue aussi que certains employés avaient droit à des heures supplémentaires. Les allégations de la CNESST n'ont pas été prouvées en cour.

L'EMPLOYEUR SE DÉFEND

Le restaurant explique avoir versé tous ses pourboires aux employés et estime avoir respecté toutes les règles en vigueur. « Tous les pourboires ont été remis aux employés. Maintenant, nous comprenons qu'il y a un débat sur la répartition [des pourboires entre les employés]. Notre interprétation, c'est que tout a été fait dans les règles. On va essayer de comprendre ce qu'on nous reproche », dit Me Sébastien Gobeil, associé au cabinet Fasken et avocat de l'employeur. 

Le restaurant est la propriété du Fonds XPND Capital, le fonds d'investissement dirigé par l'homme d'affaires Alexandre Taillefer, et d'Ivanhoé Cambridge, le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Les sommes en litige ont été versées entre l'ouverture du restaurant en juin 2016 et décembre 2016. Selon la poursuite déposée par la CNESST, il appert que les pourboires étaient partagés entre tous les employés, plutôt que seulement entre les serveurs et les employés au bar qui offrent des services aux clients. La CNESST réclame ainsi des pourboires plus importants pour eux. 

« Nous réitérons qu'il n'y a aucune démonstration ou preuve qui a été faite à la CNESST à l'effet que les sommes pour les pourboires auraient été remboursées aux employés., » lit-on dans un extrait d'un courriel de la CNESST, qui n'a pas voulu commenter davantage le dossier.

L'organisme réclame aussi un salaire minimum majoré au taux général pour les commis de salle, les employés au bar qui n'offrent pas de services directement aux clients, et tous les autres employés qui n'avaient pas droit aux pourboires selon la CNESST.

La convention de partage des pourboires au restaurant du sommet de la Place Ville Marie - situé à 185 m d'altitude au centre-ville de Montréal - a été « changée de façon très mineure » en décembre 2016. « Elle est à peu près identique à celle de juin 2016 », dit Me Sébastien Gobeil, avocat de l'employeur.

La CNESST estime que l'employeur s'est endetté ainsi à l'égard de ses employés : 261 911 $ en pourboires, 21 329 $ en salaires, 7572 $ en vacances, 6028 $ en jours fériés et 2009 $ en avis. La CNESST a aussi demandé 59 770 $ (soit 20 % de la réclamation) pour elle, comme le lui permet la loi. Elle demande aussi les intérêts au taux légal sur le total de 358 621 $.

L'employeur a indiqué avoir été mis au courant de l'enquête de la CNESST en juin, et dit avoir envoyé tous les documents pertinents. Il a eu des nouvelles de la CNESST le 30 octobre par une mise en demeure. « L'employeur a collaboré d'une façon exemplaire. La Commission ne nous a jamais rappelés, nous avons eu le résultat de leur réflexion, ils ne nous ont jamais demandé nos commentaires », dit Me Sébastien Gobeil, avocat de l'employeur.

LA SUITE EN 2018

La CNESST a notamment déposé la poursuite en Cour supérieure afin de respecter le délai de prescription : en vertu de la loi, elle dispose d'un an pour réclamer des sommes dues aux employés. Au moment d'écrire ces lignes, la poursuite avait été déposée au palais de justice de Montréal, mais n'avait pas été signifiée à l'employeur. Une rencontre entre les deux parties doit avoir lieu en janvier. « Nous voulons qu'ils nous expliquent ce que nous aurions dû faire, mais tous les pourboires ont été versés [aux employés] », dit Me Sébastien Gobeil, avocat de l'employeur.

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse