Le marché de l'emploi ne s'est jamais aussi bien porté au Québec, ce que devrait confirmer demain Statistique Canada. Hier, syndicats et groupes sociaux ont relancé la campagne pour que le Québec imite l'Ontario, qui augmentera son salaire minimum de 23% le 1er janvier prochain et de 7% un an plus tard. Attention ! Une augmentation d'une telle ampleur peut faire plus de mal que de bien à ceux que la province veut aider.

Le Québec est déjà passé par là, explique l'économiste Matthieu Arseneau, de la Banque Nationale. Quand son salaire minimum a augmenté à des niveaux comparables en 1975, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans a grimpé en flèche pour culminer à 19,5 %, tandis que celui de l'Ontario est resté stable.

En théorie, l'augmentation du salaire minimum est souhaitable. Mais en pratique, « ce n'est pas la politique magique qu'on imagine pour réduire les inégalités », conclut l'économiste qui, avec son collègue Stéfane Marion, s'est penché sur l'évolution récente du salaire minimum au Canada.

L'Ontario augmentera son salaire minimum de 11,40 $ à 14 $ le 1er janvier prochain, puis à 15 $ un an plus tard. C'est la plus forte augmentation depuis 50 ans.

Ces deux augmentations porteront le salaire minimum à 53 %, puis à 55 % du salaire horaire moyen en Ontario.

« À ce niveau-là [du salaire horaire moyen], l'Ontario se compare à la France, qui n'est pas un modèle de création d'emplois chez les jeunes », souligne Matthieu Arseneau.

En 1975, le Québec avait augmenté son salaire minimum jusqu'à 54,2 % du salaire horaire moyen, alors qu'il restait à 40,9 % du salaire moyen en Ontario.

Un seuil à ne pas dépasser

La barre des 50 % du revenu horaire moyen apparaît comme un seuil à ne pas dépasser, si l'on se fie à l'expérience du Québec. Seule des quatre provinces importantes du Canada à avoir franchi ce seuil en 1975, en augmentant le salaire minimum jusqu'à 54,2 % de son salaire horaire moyen, le Québec a vu le taux d'emploi des jeunes se dégrader dans les deux années suivantes. « Ça a été une leçon pour le Québec », estime l'économiste de la Banque Nationale.

Appelé à la rescousse par le gouvernement de l'époque, l'économiste Pierre Fortin avait conclu dans un rapport que l'augmentation du salaire minimum avait été trop importante et avait nui à l'emploi des jeunes.

Si l'histoire se répète, des pertes d'emplois se produiront en Ontario après le bond prévu du salaire minimum. Selon la Banque TD, l'Ontario pourrait perdre entre 80 000 et 90 000 emplois d'ici 2020.

Des hausses importantes du salaire minimum peuvent aussi avoir pour effet d'encourager le décrochage chez les jeunes. Des emplois qui sont généralement des portes d'entrée pour les jeunes sur le marché travail peuvent aussi se faire plus rares. La chaîne de magasins Dollarama, par exemple, songe à se doter de caisses automatisées pour compenser l'effet qu'aura la hausse prévue du salaire minimum en Ontario sur sa rentabilité.

« L'impact d'une hausse du salaire minimum à 15 $ n'est pas le même partout », précise Matthieu Arseneau. Ainsi, dans des villes comme Seattle ou en Alberta, où le salaire minimum sera porté à 15 $, le seuil de 50 % du salaire moyen ne serait pas dépassé. « On peut parler de rattrapage dans leur cas », dit-il.

Des hausses graduelles du salaire minimum seront toujours préférables aux augmentations brusques, estime l'économiste. « Il ne faut pas oublier qu'il existe d'autres façons de redistribuer la richesse, dont la politique fiscale et les dépenses gouvernementales. »

Infographie La Presse

• Salaire minimum actuel au Québec : 11,25 $/heure

• Salaire minimum actuel en Ontario : 11,40 $/heure

Sources : Financière Banque Nationale et Statistique Canada

Proportion d'employés gagnant moins de 15 $/heure

• Québec : 23 %

• Ontario : 24 %

• Alberta : 16 %

• Colombie-Britannique : 22 %

Sources : Financière Banque Nationale et Statistique Canada