L'aide fiscale de Québec aux sociétés étrangères spécialisées dans le multimédia - notamment Ubisoft, Electronic Arts et Warner - fait réagir plusieurs dirigeants d'entreprise de la province. Un groupe organisé est d'ailleurs en train de préparer une sortie publique.

Selon nos informations, des dizaines d'acteurs de Québec inc. prennent part à la réflexion. Louis Têtu, de Coveo, Eric Boyko, de Stingray, Pascal Tremblay, de Novacap, et Jean Laflamme, de Meubles South Shore, sont au nombre de ceux ayant jusqu'ici participé aux discussions.

Le groupe envisage la rédaction d'un manifeste, qui pourrait notamment parler de création de richesse collective, et l'organisation d'une conférence de presse. Le groupe final n'est pas encore tout à fait formé, mais tout indique qu'il réunira des gens d'affaires de tous horizons, allant des technos à l'industrie manufacturière, en passant par le secteur du commerce de détail.

Certains dirigeants, dans le commerce de détail, par exemple, se demandent pourquoi ils n'auraient pas droit à une aide spéciale pour les aider à emprunter le virage numérique et mieux affronter la concurrence d'entreprises comme Amazon.

Ces hommes et femmes d'affaires déplorent par ailleurs que le concept de création de valeur soit « mal compris » et qu'il semble peu important au Québec. Ils s'étonnent du peu d'attention porté au coût des emplois liés aux crédits d'impôt multimédias. Selon eux, la valeur ajoutée de ces emplois est exportée à des actionnaires étrangers à coups de milliards.

Ils soutiennent que les entrepreneurs et entreprises qui créent de la valeur au Québec en payant leurs impôts ici font face à une concurrence accrue financée par la stratégie du gouvernement. Les subventions aux entreprises étrangères, tout en créant de la richesse à l'étranger, priveraient les sociétés québécoises du talent dont elles ont besoin pour emprunter le virage numérique. Ils soulignent que la difficulté à trouver une main-d'oeuvre qualifiée (ingénieurs informatiques, programmeurs, etc.) affaiblit la compétitivité des sociétés d'ici et affecte la création de richesse aux actionnaires d'ici, ce qui a pour conséquence de réduire le magot des Québécois pour les générations futures.

Ce ne serait pas la première fois que des entrepreneurs critiquent l'aide fiscale aux entreprises étrangères. En juin, Eric Boyko avait notamment dénoncé la situation en annonçant que Stingray envisageait d'embaucher 400 personnes (ingénieurs informatiques, programmeurs, etc.) d'ici cinq ans, mais qu'il y avait une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

PERTINENCE REMISE EN QUESTION

Selon une étude publiée hier par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), il n'est pas clair que le crédit d'impôt pour la production de titres multimédias représente toujours une bonne politique industrielle pour la province.

« Sachant que l'industrie du jeu vidéo au Québec est dominée par de grandes multinationales qui y déclarent peu de profits, il devient important de se demander quelle part du crédit d'impôt pour la production de titres multimédias a été redirigée à l'extérieur des frontières du Québec sans que le gouvernement arrive à récupérer les impôts qui lui sont dus », dit Jean-Philippe Meloche, auteur de l'étude et professeur à l'Université de Montréal.

Il lui apparaît évident que le crédit d'impôt doit être réévalué « sérieusement ». « Il s'agit après tout du plus important programme de crédit d'impôt accordé à un secteur industriel spécifique et il profite très majoritairement à des multinationales étrangères. »

Selon M. Meloche, il est plus vraisemblable qu'il ne contribue qu'à déplacer la main-d'oeuvre qualifiée vers des emplois associés au jeu vidéo, accentuant par le fait même des pénuries potentielles dans d'autres secteurs.

« Le faible niveau de chômage actuel génère une fenêtre d'opportunité pour une révision du programme. S'il fallait entraîner des bouleversements sur le marché de l'emploi par le retrait du crédit d'impôt, mieux vaudrait le faire lorsque le taux de chômage est à son plus bas. »

>> Consultez l'étude du CIRANO

En 2014, dans le cadre de la Commission d'examen sur la fiscalité, trois études distinctes avaient toutefois conclu que le programme québécois était rentable pour le gouvernement.