SNC-Lavalin a dû rembourser 15 millions de dollars à Ottawa pour avoir surfacturé des travaux d'entretien pendant plusieurs années dans des bâtiments fédéraux, indiquent des documents obtenus par La Presse après de longues démarches en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

En mars 2010, La Presse révélait que Profac, une filiale de la firme d'ingénierie montréalaise, avait présenté une série de factures pour le moins surprenantes. Le groupe avait notamment exigé 1000 $ pour changer une sonnette au complexe Portage III, qui abrite les bureaux du ministère des Travaux publics à Gatineau, et 2000 $ pour acheter deux plantes vertes.

Rona Ambrose, ministre des Travaux publics de l'époque, avait qualifié ces dépenses d'«inacceptables» et mandaté la firme PricewaterhouseCoopers (PWC) pour effectuer une vérification. L'enquête a mis au jour de nombreuses irrégularités, mais les détails d'un règlement intervenu par la suite entre Ottawa et SNC sont demeurés secrets pendant des années en raison d'une entente de confidentialité.

14 917 728 $

Le journaliste Hugo de Grandpré et le recherchiste William Leclerc, du bureau de La Presse à Ottawa, ont dû se battre pendant plus de trois ans avec Services publics et approvisionnement Canada (anciennement Travaux publics) et le Commissariat à l'information pour enfin apprendre le total des sommes remboursées à l'État par SNC-Lavalin : 14 917 728 $.

«C'est démesuré comme délai, c'est censé prendre 90 jours, pas trois ans et demi», affirme Michel Drapeau, avocat d'Ottawa spécialisé en droit de l'accès à l'information.

La demande d'accès à l'information faite par La Presse - et la plainte subséquente au Commissariat - était limpide. La requête demandait de connaître «tous les montants remboursés par la firme SNC-Lavalin ou une de ses filiales, telles que Profac inc., pour de la surfacturation pour des travaux effectués dans les immeubles du gouvernement fédéral», entre 2000 et 2013.

La réponse fournie, en partie caviardée, fait état d'une série de 15 remboursements effectués par SNC-Lavalin sur une période de trois ans, entre 2010 et 2013. Les sommes varient de 29 967 $ à 1,17 million, pour un total de presque 15 millions.

«Quinze millions de surfacturation pour l'entretien du parc immobilier fédéral, c'est beaucoup d'argent! a dénoncé le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, qui avait critiqué dès le départ le manque de transparence de cette affaire. Y a-t-il encore beaucoup d'autres contrats aussi mal foutus au gouvernement fédéral?»

SNC se défend

Narsain Jaipersaud, vice-président aux finances chez SNC-Lavalin, estime que la notion de surfacturation a été «exagérée» dans le dossier de l'entretien des bâtiments fédéraux. En entrevue téléphonique, il rappelle que le contrat intervenu en 2004 avec le gouvernement fédéral (et qui a pris fin en 2015) comportait des ajustements de coûts «à la hausse ou à la baisse» à la fin de chaque année financière.

«Ce n'est pas en raison de surfacturation, a-t-il soutenu. On envoie nos factures selon des montants prédéterminés, par exemple pour les coûts de technologie de l'information, et ensuite on ajuste [en fin d'année] selon les coûts réels. Si les coûts réels sont plus bas que ceux qui avaient été budgétés, alors de l'argent doit être remboursé à l'État. Cela peut aussi aller dans l'autre direction.»

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), chargé du parc immobilier fédéral, contredit cette version des faits. Le Ministère confirme que le gouvernement et les entreprises doivent «occasionnellement verser des sommes additionnelles en fonction des contrats en place et des travaux réalisés», mais pas dans ce cas-ci.

Le remboursement de 15 millions effectué par SNC-Lavalin est entièrement lié au règlement du dossier de la surfacturation, a indiqué à La Presse Pierre-Alain Bujold, porte-parole de SPAC. Cette somme a été réclamée à la firme d'ingénierie au terme d'un processus de médiation, a-t-il précisé.

Après un appel d'offres réalisé en 2014, Ottawa a décidé de confier la gestion de ses immeubles fédéraux à Brookfield Solutions Globales Intégrées, un groupe ontarien. Les histoires de surfacturation n'auraient pas joué de rôle dans l'attribution de ce lucratif contrat à un concurrent de SNC-Lavalin, affirme SPAC.

SNC a vendu sa filiale Profac - renommée SNC-Lavalin O & M - à Brookfield l'an dernier pour 45 millions.

***

Trois ans de vérifications


La vérification des contrats accordés par le gouvernement fédéral à SNC-Lavalin et ses filiales a duré plus de trois ans. Ottawa a versé 1,1 million de dollars à PricewaterhouseCoopers pour cette enquête, «ce qui représente moins de 0,02% de la valeur totale des contrats de SNC-Lavalin qui ont été revus», a indiqué un porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada, le ministère responsable du parc immobilier fédéral. La somme versée à PWC pour cet audit n'est pas incluse dans les 15 millions remboursés à l'État par SNC, a précisé le porte-parole.

Chronologie

MARS 2010

Une enquête de La Presse révèle que Profac, une filiale de SNC-Lavalin, a présenté certaines factures étonnantes pour des travaux dans un complexe gouvernemental de Gatineau. Le groupe a notamment exigé 2000 $ pour installer deux plantes et leurs pots, 5200 $ pour installer six luminaires encastrés ou encore 250 $ pour enlever un panneau indicateur de sortie. Rona Ambrose, ministre responsable des Travaux publics, qualifie ces dépenses d' « inacceptables ».

FÉVRIER 2011

Profac rembourse 32 000 $ qu'elle aurait facturés en trop à Ottawa, au terme d'une première vérification jursicomptable menée par PricewaterhouseCoopers (PWC). Une porte-parole de SNC indique alors que ce remboursement « n'est qu'une simple preuve de bonne foi de notre part et ne signifie nullement que nous acceptons les constatations de PWC ».

OCTOBRE 2011

La deuxième phase de la vérification menée par PWC révèle de nombreux cas de surfacturation, de même que l'existence de contrats accordés sans respect des règles et l'absence de plusieurs pièces justificatives. Sur 70 cas analysés, PWC en relève 36 qui ont fait l'objet d'une mauvaise facturation. Les sommes en jeu s'élèvent alors à 44 000 $.

SEPTEMBRE 2013

La Presse révèle que SNC-Lavalin a dû rembourser au moins 2 millions à l'État canadien. Il est toutefois impossible d'obtenir le montant global du remboursement, puisque le ministère des Travaux publics (renommé Services publics et Approvisionnement Canada) a conclu une entente de confidentialité avec l'entreprise dans le cadre d'un processus de médiation.

JANVIER 2017

La Presse obtient finalement l'information qu'elle réclame depuis septembre 2013, à savoir les sommes remboursées à l'État par SNC-Lavalin en lien avec la surfacturation (15 millions de dollars). Pour y parvenir, les employés du quotidien ont dû formuler plusieurs demandes et faire une plainte en vertu de la Loi sur l'accès à l'information pour finalement obtenir le montant.

- Avec la collaboration de William Leclerc