Des cadres pourront se syndiquer et faire la grève: c'est la brèche ouverte avant-hier par la justice dans une décision qui risque de révolutionner les relations de travail au Québec.

Le Tribunal administratif du travail a jugé inconstitutionnelle l'impossibilité de se syndiquer à laquelle sont soumis 250 patrons de premier niveau des casinos de la province, chargés de superviser les tables de jeu. Le Tribunal a rendu en même temps une décision semblable concernant des cadres d'Hydro-Québec.

Cette interdiction de se syndiquer « entrave substantiellement leur capacité à négocier sur des objets importants », a écrit la juge administrative Irène Zaïkoff dans un long jugement rendu mercredi. « L'absence d'un mécanisme permettant de sanctionner » les négociations de mauvaise foi « et la suppression du droit de grève » - deux outils réservés aux syndicats - déséquilibrent de façon inacceptable le rapport de forces de ces cadres, a-t-elle déterminé. Au point de violer leur liberté d'association garantie par la Constitution.

En conséquence, la juge administrative Zaïkoff a donné son feu vert au processus d'accréditation syndicale de ces cadres. Contre l'avis du gouvernement du Québec, qui avait dépêché un avocat au Tribunal pour défendre le statu quo.

Selon l'avocat qui a mené le combat pour les cadres de Loto-Québec, la décision ouvre une nouvelle ère en droit du travail. « C'est une première », s'est réjoui Me Jean-Luc Dufour. 

« C'est sûr que ça va bouleverser les rapports collectifs du travail parce que - à la lumière des faits de chacun des dossiers -, ça ouvre une porte pour que d'autres associations de cadres de premier niveau, qui s'estiment dans la même situation, [...] présentent exactement la même procédure. »

- Me Jean-Luc Dufour

Loto-Québec n'a que brièvement commenté la décision. « Le Code du travail continue d'avoir force de loi et ça exclut les cadres d'une possibilité d'une démarche d'accréditation. Maintenant, à la lumière de cette décision, on va respecter la démarche en cours », a affirmé le porte-parole Patrice Lavoie. « On va laisser le soin aux instances judiciaires compétentes de juger. »

Dans sa décision, la juge explique que ces cadres de premier niveau sont bien des patrons, mais ils ne se trouvent pas dans un conflit d'intérêts qui les empêcherait d'être représentés par un syndicat.

« Ils ne bénéficient pas de la relation privilégiée que peuvent entretenir les cadres de niveaux supérieurs avec l'entreprise. Ils ne participent pas aux orientations de l'entreprise. Ils ne jouent pas non plus de rôle stratégique dans les relations du travail : ils ne négocient pas les conventions collectives ; ils n'en assurent pas l'application dans le quotidien des activités, écrit Irène Zaïkoff. En résumé, les cadres de premier niveau sont véritablement "entre l'arbre et l'écorce". »