La réputation du Québec comme destination d'investissement a souffert de la volte-face du premier ministre Philippe Couillard sur l'exploration pétrolière et gazière sur l'île d'Anticosti, affirme un banquier de Toronto. Selon lui, le changement de cap de Québec est carrément « stupide ».

Andy Gustajtis peine à croire que le premier ministre Philippe Couillard a torpillé en quelques phrases l'exploration pétrolière et gazière sur l'île, il y a deux mois. Le banquier de D & D Securities, à Toronto, a travaillé activement avec l'entreprise Junex afin de dénicher des investisseurs pour ses projets en Gaspésie et à Anticosti.

« Pour être franc - et je pèse mes mots pour qu'ils ne soient pas trop incendiaires -, c'est carrément stupide », tranche M. Gustajtis.

Le banquier comprend mal que Québec lève le nez sur du pétrole et du gaz qui se trouvent dans sa cour, sur une île qui n'est à peu près pas peuplée. À ses yeux, la volte-face de Québec a de quoi inquiéter toutes les entreprises qui envisagent d'investir au Québec.

« Si vous dites à quelqu'un dans le monde "on ne veut pas de votre argent, on ne veut pas que vous veniez ici pour investir, travailler et embaucher des gens", ils vont aller là où ils sont les bienvenus, dit M. Gustajtis. C'est donc un avertissement. »

« Ça envoie le message que le développement des ressources naturelles ne nous intéresse pas », estime Andy Gustajtis, banquier.

Andy Gustajtis est loin d'être le seul à être de cet avis. Pour Éric Lemieux, analyste chez Peartree Securities, la sortie du premier ministre Philippe Couillard contre l'extraction d'hydrocarbures sur Anticosti a un « effet très, très important ». Et pas seulement sur les titres des deux sociétés québécoises impliquées à Anticosti, Pétrolia et Junex, qui ont piqué du nez au cours des dernières semaines.

« Ce que je vois surtout, c'est l'impact que ça a sur l'ensemble des ressources naturelles, résume l'analyste. Ça envoie un très, très mauvais signal, pas juste au Québec, mais aussi à Toronto, Londres, Paris ou New York. Un gouvernement qui fait volte-face et, à mon sens, change les règles du jeu sans aller par un processus en bonne et due forme, c'est dangereux, et le marché n'aime pas ça. »

« Très dommageable »

La situation préoccupe Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des Chambres de commerce du Québec. Elle espère davantage de clarté chez le gouvernement Couillard, qui semble souffler le chaud et le froid sur la filière des hydrocarbures.

« L'incertitude qui se crée actuellement, par les déclarations, par ce qu'on a pu lire dans les journaux, par le fait que le décret n'a pas été publié, ça laisse entendre que ce qui semblait certain ne l'est plus. Et ça, c'est très dommageable. »

Il y a deux ans, sous le gouvernement Marois, Québec avait noué un partenariat avec Pétrolia, Corridor Resources et la société française Maurel & Prom dans l'espoir de confirmer le potentiel pétrolier d'Anticosti. À son arrivée au pouvoir, le gouvernement Couillard a lancé deux études environnementales stratégiques (EES), l'une sur l'ensemble de la filière des hydrocarbures, l'autre portant spécifiquement sur Anticosti.

Mais au début de décembre, le premier ministre a pris tout le monde de court en lançant une salve contre le projet en marge de la conférence de Paris sur les changements climatiques. Il en a rajouté une couche quelques jours plus tard en affirmant : « Le délabrement de ce milieu unique ne portera pas ma signature. »

Flottement

Le PDG de Pétrolia, Alexandre Gagnon, a tenté à diverses reprises d'obtenir l'heure juste de la part du gouvernement Couillard, ces dernières semaines, sans succès. Il dit avoir obtenu l'assurance de Ressources Québec, l'organisme gouvernemental qui supervise l'exploration d'Anticosti, que le projet suit son cours.

L'entreprise est aussi active dans les projets Haldimand (pétrole) et Bourque (gaz naturel) en Gaspésie. Pour ce dernier projet, il sera beaucoup plus difficile de trouver du financement, reconnaît M. Gagnon.

« Qui va choisir d'investir alors qu'un matin, le premier ministre peut se lever et décider qu'un projet est bon ou pas ? », demande Alexandre Gagnon, PDG de Pétrolia.

Junex a mis sur la glace ses activités sur Anticosti en juin dernier. L'entreprise se concentre sur le projet Galt, en Gaspésie, dans l'espoir de lancer la production d'ici l'an prochain. Ici aussi, les messages discordants du gouvernement sur les hydrocarbures inquiètent.

« Nous avons la chance d'avoir une bonne position de liquidités en ce moment grâce au financement de 15 millions réalisé cet été à la suite de notre découverte de pétrole à Galt, a indiqué le président de l'entreprise, Peter Dorrins. Cela dit, c'est bien évident qu'il nous serait aujourd'hui très difficile de convaincre les marchés financiers de déployer ce capital dans nos projets, même si Galt représente la plus importante découverte de pétrole conventionnel jamais réalisée au Québec. »

Le spectre du gaz de schiste

Pour Patrick Gonzalez, professeur au département d'économie à l'Université Laval, l'épisode du gaz de schiste a été beaucoup plus néfaste qu'Anticosti pour la réputation du Québec.

Il rappelle que Québec avait d'abord autorisé des sociétés à explorer le potentiel gazier de la vallée du Saint-Laurent. Mais devant la levée de boucliers contre les gaz de schiste, le gouvernement Charest a suspendu la validité de ces permis en 2011. Aux yeux du professeur, il est clair que Québec « n'a pas respecté les règles du jeu » en déclarant ce quasi-moratoire.

« Dans la première moitié des années 2000, le Québec était au top, dans le peloton de tête des endroits les plus réputés [où investir], explique M. Gonzalez. Et là, on est descendus : on est avec les républiques de bananes. »