Les avocats du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) ont formellement demandé à la Cour supérieure, mercredi, de rejeter le règlement à l'amiable de 431,5 millions $ destiné aux victimes et créanciers de la tragédie de Lac-Mégantic, parce que cette entente serait injuste pour le transporteur canadien.

Me Alain Riendeau a plaidé devant le juge Gaétan Dumas, à Sherbrooke, que certaines dispositions de l'entente limiteraient considérablement la capacité du CP à assurer éventuellement sa défense devant les tribunaux.

Environ 25 compagnies menacées par un recours collectif ont accepté de verser des millions de dollars en indemnités, un règlement qui les exonère par ailleurs de toute responsabilité civile. Ce règlement à l'amiable a été accepté à l'unanimité par les victimes et les créanciers lors d'une assemblée spéciale, le 8 juin dernier, à Lac-Mégantic.

L'entente prévoit le versement de près de 200 millions $ au gouvernement du Québec et à la municipalité de Lac-Mégantic, pour le nettoyage, la décontamination et autres coûts afférents. Les familles des victimes recevraient quant à elles des indemnités d'environ 111 millions $, alors que 21 millions $ sont prévus pour les honoraires d'avocats. Le reste - près de 100 millions $ - sera consacré à d'autres réclamations, comme l'aide psychologique et les dommages matériels.

La Cour supérieure doit maintenant approuver ce règlement, et le juge Dumas entendait cette semaine les plaidoiries du CP [[|ticker sym='T.CP'|]], qui soutient n'avoir rien à se reprocher dans le déraillement et l'explosion du train. Le juge a mis la cause en délibéré.

La MMA insolvable

Le convoi de 72 wagons-citernes de la Montreal Maine and Atlantic (MMA), laissé sans surveillance pour la nuit à Nantes, avait dévalé une légère pente sur 13 kilomètres puis déraillé en plein centre-ville de Lac-Mégantic, avant d'exploser et de prendre feu. Une partie du centre-ville a littéralement été rasée par l'explosion et les flammes, et le bilan s'élève à 47 morts.

C'est le CP qui avait transporté le pétrole jusqu'à Montréal, mais au moment de la tragédie, les locomotives, les wagons et la cargaison impliqués n'appartenaient pas au CP, le train n'était pas conduit par des employés du CP, et il ne roulait pas non plus sur des voies du CP, a plaidé Me Riendeau, mercredi.

La MMA ne disposait pas d'une couverture d'assurances suffisante pour payer les victimes et les créanciers, et elle a déclaré faillite, au Canada et aux États-Unis. Le règlement à l'amiable est d'ailleurs lié aux procédures de cette faillite de MMA des deux côtés de la frontière. Or, si le tribunal approuve le fonds de règlement, les entreprises signataires ne pourront plus être tenues responsables. Selon l'avocat de la MMA, Patrice Benoît, l'entente permettrait ainsi à la compagnie d'éviter finalement la faillite, et aux requérants d'obtenir des indemnités rapidement.

Mais l'entente signifie aussi que les entreprises seraient par ailleurs à l'abri d'une contre-poursuite du CP si jamais elles décidaient de récupérer auprès du transporteur les sommes qu'elles devraient débourser en vertu de l'entente.

Ainsi, l'avocat d'Irving Oil, qui a offert de verser 75 millions $ dans le cadre du règlement à l'amiable, a confirmé que l'entreprise avait déjà signifié son intention de céder au syndic de faillite de la MMA, nommé par un tribunal américain, son droit de poursuivre le CP. On ignore cependant si ce syndic songe effectivement à poursuivre le CP à la place d'Irving.

Compétence fédérale

Par ailleurs, Me Riendeau a plaidé que le CP avait obtenu le contrat de l'entreprise World Fuel Services pour acheminer son pétrole vers des raffineries du Nouveau-Brunswick. Ce contrat prévoyait que World Fuel Services serait responsable des indemnités à verser si des dommages étaient causés par ses produits.

Or, le règlement à l'amiable éliminerait cette disposition contractuelle, car la World Fuel Services ne pourrait plus être tenue responsable, a plaidé Me Riendeau.

L'avocat du CP a aussi soutenu que le règlement à l'amiable est, techniquement, illégal, puisque les lois canadiennes qui régissent la faillite ne permettent pas à des tierces parties d'être exonérées de toute responsabilité civile dans certains types de procédures en matière d'insolvabilité, comme celles qui touchent la MMA.

Enfin, le CP soutient que cette cause de faillite aurait dû être entendue par un tribunal de juridiction fédérale, et non en Cour supérieure du Québec.

Plus tôt mercredi, l'avocat de la MMA avait pressé le juge Dumas d'approuver cette entente «juste et raisonnable». Selon Me Benoît, si le tribunal approuvait le règlement et qu'il n'y avait pas de contestations judiciaires, les indemnisations pourraient être versées dès l'automne.