Bombardier n'est pas la seule entreprise québécoise à s'être heurtée à des exigences particulières de la Caisse de dépôt et placement au cours des derniers mois. Depuis le début de l'année, la Caisse a eu l'occasion d'investir dans Stingray, Fiera Capital et Groupe Distinction (GDI), mais selon nos informations, elle a passé son tour ou n'a pu participer à des opérations de financement aux conditions qu'elle souhaitait obtenir.

Cette semaine, le Globe and Mail a rapporté que la Caisse souhaitait acquérir une proportion importante des actions mises sur le marché par Bombardier en février. Toutefois, l'institution a demandé à Bombardier de diminuer le nombre de votes attribués à ses actions multivotantes de dix à six, en plus de permettre à la Caisse d'avoir son mot à dire sur le choix du nouveau PDG. Bombardier a rejeté ces demandes avant de procéder à son émission d'actions d'environ 1 milliard de dollars. La Caisse a finalement participé quand même à l'émission d'actions, mais a obtenu beaucoup moins d'actions qu'elle ne l'avait souhaité.

De même, invitée à investir dans le premier appel public à l'épargne de Stingray ce printemps, la Caisse souhaitait que les actions multivotantes du fournisseur montréalais de services musicaux comportent six votes chacune au lieu de dix, selon nos informations.

GDI et Fiera

Stingray a refusé et les discussions avec la Caisse se sont arrêtées là. La demande s'est finalement avérée forte pour les actions de Stingray, et au terme de la tournée d'investisseurs qui a précédé l'entrée en Bourse, la Caisse a laissé tomber ses conditions et a demandé environ 10 millions de dollars d'actions. Selon l'information dont dispose La Presse, la Caisse a pu en obtenir pour 2 millions seulement.

Le fondateur et PDG de Stingray dit avoir été surpris par les revendications de la Caisse. «Tu es pour ou tu es contre les multivotantes. Pourquoi être d'accord avec des actions qui portent quatre votes ou six votes, mais contre celles qui en ont 10?», se demande Eric Boyko.

La Caisse a aussi été invitée à investir dans le retour en Bourse du Groupe Distinction au début du mois de mai. La structure du capital de GDI comprend aussi des actions à droit de vote multiple (quatre votes chacune). Dans ce cas-ci, les actions multivotantes ne posaient pas problème. La Caisse voyait GDI d'un bon oeil, mais selon nos sources, c'est un critère non lié à la gouvernance qui ne faisait pas l'affaire du gestionnaire institutionnel. La Caisse n'a pas investi dans GDI. Pour finir, l'émission d'actions a généré des commandes d'environ 1 milliard de dollars de la part, essentiellement, d'investisseurs institutionnels.

En mars, la Banque Nationale a décidé de se départir d'une portion de son bloc d'actions dans la firme montréalaise Fiera Capital. Selon nos sources, la Caisse a été invitée à participer à cette opération de plus de 100 millions et devait même originalement en être le principal acteur. Mais à la dernière minute, le plus important investisseur institutionnel du Québec est arrivé avec des conditions de prix «hors marché». Il a alors été décidé de procéder à la transaction sans la Caisse. Au tout dernier instant, la Caisse est revenue à la charge, au prix en cours, cette fois, mais n'a pu obtenir qu'une très petite participation.

Positif ou négatif?

«D'un côté, l'attitude de la Caisse peut être perçue de façon positive, car elle se montre sélective», explique un intervenant bien au fait de la situation mais qui préfère ne pas être identifié. «De l'autre côté, ça empêche la Caisse de soutenir des champions du Québec.»

«Les banquiers d'affaires deviennent moins portés à faire un premier appel à la Caisse [lors d'une opération financière]», dit cette personne qui occupe une position stratégique dans le milieu financier québécois. Il laisse entendre que la Caisse risque de ce fait de rater des occasions d'investir.

«Le mot se passe rapidement que la Caisse prend des positions assez agressives», ajoute-t-il.

En vertu de sa politique datant de 2007, la Caisse «favorise de façon générale une structure de capital conférant un droit unique de vote par action». Le bas de laine des Québécois «ne s'oppose toutefois pas de façon systématique» aux actions multivotantes - notamment dans le cas d'entrepreneurs-fondateurs-propriétaires -, examinant chaque situation «au cas par cas».

La Caisse n'a pas voulu commenter vendredi les cas soulevés dans cet article ni préciser si sa politique touchant les actions multivotantes s'applique à l'ensemble de ses investissements, ou seulement à ses nouveaux investissements. Sa politique indique toutefois qu'en cas de création d'actions multivotantes, la Caisse s'attend à ce que les actions à droit de vote multiple soient limitées à un ratio de six votes par action.

GDI et Fiera Capital n'ont pas donné suite aux messages laissés par La Presse.

- Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot

Des demandes de la caisse

> Février 2015: Bombardier procède à une émission d'actions et la Caisse pose plusieurs exigences, dont une liée aux actions multivotantes, selon le Globe and Mail.

> Mars 2015: La Caisse fait des demandes précises sur le prix dans le cadre d'un placement privé pour des actions de Fiera Capital.

> Mai 2015: La Caisse passe son tour lors du premier appel public à l'épargne de GDI en raison d'un critère précis non lié à la gouvernance.

> Juin 2015: La Caisse obtient seulement 20% de sa commande en actions lors du premier appel public à l'épargne de Stingray après avoir initialement présenté des exigences liées aux actions multivotantes.