La Caisse de dépôt et placement du Québec est-elle allée trop loin en demandant à Bombardier de modifier sa structure de capital de façon à donner moins de poids à ses actions à vote multiple ? Le président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP), Yvan Allaire, croit que oui.

Selon le quotidien torontois The Globe and Mail, qui cite une source anonyme, la Caisse a demandé à la multinationale québécoise de réduire le nombre de droits de vote attribués à ses actions à vote multiple pour le faire passer de dix à six. Ces actions permettent à la famille Beaudoin-Bombardier de contrôler les destinées de Bombardier même si elle détient moins de 50 % du capital de l'entreprise.

La Caisse a formulé cette requête dans le cadre d'une émission d'actions de 600 millions US lancée en février. Elle était prête à acquérir pour 250 à 300 millions US de ces nouvelles actions, mais à condition que Bombardier modifie ses actions à vote multiple et lui permette d'avoir son mot à dire dans la nomination d'un nouveau PDG. Rappelons qu'en 2013, la Caisse avait incité Rona à apporter des changements à son conseil et remplacer son PDG.

POLITIQUE INTERNE

Pour justifier son intervention auprès de Bombardier, la Caisse invoque une politique interne qui préconise de « limiter les actions à droits de vote multiples à un ratio de 6:1 ». Jusqu'en 2012, le ratio maximal jugé acceptable par la Caisse était de 4:1.

La première version de cette politique a été adoptée en 2007. Elle est largement inspirée d'une prise de position publiée en 2006 par l'IGOPP. Or, M. Allaire croit que la Caisse n'en a « pas respecté l'esprit » en l'appliquant à une entreprise dont la structure comprend des actions à 10 droits de vote depuis son entrée en Bourse, en 1969.

« On ne peut pas demander aux entreprises de retourner en arrière et de défaire ce qui a été fait, ce serait ridicule », estime Yvan Allaire.

Yvan Allaire a été vice-président exécutif de Bombardier de 1996 à 2001 mais n'a plus de liens avec l'entreprise.

La Caisse et Bombardier n'ont pas voulu commenter le dossier jeudi.

D'après le Globe, la Banque Nationale, qui faisait partie des institutions financières responsables de l'émission d'actions, a recommandé à Bombardier de refuser les conditions posées par la Caisse et de se tourner vers d'autres investisseurs. Bonne décision : l'émission a été un succès, l'entreprise récoltant 868 millions US plutôt que les 600 millions US espérés au départ.

Le PDG Louis Vachon aurait lui-même défendu le point de vue de la banque lors d'une réunion du conseil d'administration de Bombardier, le 9 février. Curieusement, trois semaines plus tard, la banque a recommandé à BMTC (Brault & Martineau) d'éliminer ses actions à vote multiple, invoquant « une meilleure gouvernance d'entreprise, la simplification de la structure du capital et une plus grande facilité à négocier les actions ».

Plusieurs des plus grandes entreprises québécoises sont contrôlées par le biais d'actions à vote multiple, dont CGI, Alimentation Couche-Tard, Cogeco, Jean Coutu et Power Corporation. Longtemps décriées dans les milieux d'affaires anglo-saxons, ces actions ont fait un retour en force ces dernières années avec l'entrée en Bourse de sociétés technologiques comme Google, Facebook, LinkedIn et Groupon. La Caisse est actionnaire de plusieurs de ces entreprises américaines puisque celles-ci font partie des principaux indices boursiers.