Les Québécois vont moins au cinéma. En 2014, le box-office au Québec a diminué de 11%, l'une des plus importantes baisses des dernières années.

Selon la firme Cinéac, les 50 premières semaines (sur 52) de l'année 2014 ont généré 160,8 millions au box-office contre 180,8 millions pour la même période en 2013 et 187 millions en 2012. Il s'agit d'une baisse de 14% sur 2 ans.

«Les gens vont moins au cinéma, un phénomène en lien avec la popularité du cinéma à la maison, dit Stéphanie Nolin, porte-parole de Cinéac. Et il y a eu moins de gros films cette année. C'est un peu un creux de vague. En 2015, ça devrait reprendre avec des films comme 50 Shades of Grey et le prochain Star Wars

Ces chiffres comprennent les revenus du box-office du 3 janvier au 18 décembre 2014. Afin d'obtenir les chiffres finaux pour 2014, il faudra attendre les résultats du box-office pour les deux dernières semaines, souvent les plus importantes de l'année pour les salles de cinéma.

Le président de l'Association des propriétaires de cinémas du Québec, Vincent Guzzo, ne se rappelle pas une baisse annuelle aussi marquée pour le box-office au Québec «Ça s'explique de différentes façons, dit celui qui est aussi président des Cinémas Guzzo. Le produit n'était pas aussi en demande. Aucun des films d'été n'a livré. On avait vu une baisse similaire pour les films américains en 2007, mais le cinéma québécois nous avait alors évité une baisse aussi grande que dans le reste du Canada.» Vincent Guzzo reste toutefois optimiste puisque ses revenus étaient en hausse de 37% le week-end dernier par rapport au même week-end en 2013.

S'il a connu une légère hausse au box-office en 2014, le cinéma québécois n'a pas joué les sauveurs cette fois-ci, connaissant sa troisième pire année depuis que Cinéac a commencé à compiler les données du box-office en 2001.

Pour les 50 premières semaines de l'année 2014, le cinéma québécois a généré 6,1% des parts de marché au box-office. Il s'agit d'une deuxième hausse annuelle consécutive (4,8% en 2012 et 5,6% en 2013). De 2002 à 2011, les films québécois avaient toutefois toujours généré entre 8,3 et 18,2% du box-office annuel.

«La bonne nouvelle, c'est que le cinéma québécois connaît une hausse, dit Patrick Roy, président de Films Séville, qui distribue presque tous les films québécois d'envergure (Mommy, 1987, La petite reine, Les maîtres du suspense, Le vrai du faux). Les gens commencent à se réapproprier le cinéma québécois. Ça semble encourageant, j'ai l'impression qu'on pourra poursuivre sur cette lancée l'an prochain.»

La barre du 10%

Le propriétaire Vincent Guzzo pense que le cinéma québécois devrait générer bon an, mal an au moins 10% du box-office au Québec. «Peut-on faire mieux? Historiquement, on peut faire mieux. Des parts de marché sous 10% pour le cinéma québécois, ça devrait être inacceptable», dit-il.

En 2014, le film Mommy du réalisateur Xavier Dolan a été le film québécois le plus populaire au box-office, avec des recettes de 3,1 millions de dollars. Avec deux semaines à faire, c'est toujours le film américain Guardians of the Galaxy qui détient le premier rang du box-office en 2014 avec des recettes de 5,1 millions. Mommy, qui a reçu le Prix du Jury au Festival de Cannes, se classe au 13e rang de tous les films (il sera assurément relégué par The Hobbit: The Battle of the Five Armies, mais terminera l'année dans le top 15 des films les plus populaires au Québec, toutes provenances confondues).

Parmi les films québécois avec un budget d'envergure (plus de 4 millions), 2 films ont généré assez de revenus pour en retourner aux organismes subventionnaires (SODEC, Téléfilm Canada): Mommy et 1987.

Fait rarissime: le cinéma français a été plus populaire que le cinéma québécois au box-office québécois cette année. Il y a toutefois une bonne explication. «C'est très rare, mais c'est surtout attribuable au fait que le film Lucy avec Scarlett Johansson, qui a généré plus de 3 millions au box-office au Québec, est un film produit en France même si on pourrait le classer davantage dans la catégorie des films hollywoodiens», dit Stéphanie Nolin, porte-parole de Cinéac.

Trois questions à Ricardo Trogi

Si le cinéma québécois a généré 6,1% du box-office Québec en 2014, c'est beaucoup grâce à deux films: le drame Mommy, de Xavier Dolan, et la comédie 1987, de Ricardo Trogi. Ce dernier a accepté de faire le bilan de la dernière année cinématographique.

Q 6,1% des revenus au box-office, est-ce une bonne année pour le cinéma québécois?

R 6%, c'est correct. On espère un petit peu plus. Depuis deux ans, on essaie de voir s'il n'y a pas moyen d'améliorer ça. Sur le reste de la planète, c'est sensiblement la même chose [le déclin des cinématographies nationales au profit des superproductions hollywoodiennes, NDLR]. Je ne sais pas si ça va augmenter. Hier, je suis allé au Future Shop pour acheter des cadeaux et j'ai vu des télés 60 pouces à 1200$. Il y a un mouvement de cocooning. Moi-même, je vais voir beaucoup moins de films en salle. Il n'y a rien à faire. On m'a dit que si mon film était sorti il y a cinq ou six ans, il aurait fait 4 millions au box-office. Je ne sais pas trop quoi faire avec ça, je m'occupe seulement de ma partie du travail. Et je ne trouve pas que la situation est catastrophique. Les films québécois «scorent» pas mal à l'étranger. Si le public n'est pas au rendez-vous, je ne sais plus quoi faire.

Q Avez-vous des idées pour rendre le cinéma québécois plus populaire auprès des Québécois?

R Obliger les cinéastes actifs à tendre la main à la SODEC et à Téléfilm Canada en participant un peu plus au débroussaillage des scénarios. Dans la mesure où tout le monde - Philippe Falardeau, Jean-Marc Vallée, etc. - embarque, je serais prêt à donner de mon temps pour aider les gens à avoir des scénarios plus serrés. Je l'ai déjà fait en début de carrière, j'avais du temps. Mais je n'en ai plus, maintenant. C'est con, mais il faudrait qu'on nous oblige, que ça fasse partie du contrat avec les organismes: qu'on doive faire un comité de lecture quand un de nos films est financé par les institutions.

Q Entre Starbuck et Le sens de l'humour, à l'été 2011, et la sortie de votre film 1987 l'été dernier, les comédies québécoises ont connu des moments difficiles. Comment expliquez-vous ce phénomène?

R Pour 1987, un premier film (1981) avait installé les choses. Il y avait aussi un esprit nostalgique. Je lisais sur Facebook que beaucoup de gens y allaient en gang - des gangs de filles du secondaire, par exemple. Très humblement, j'ai aussi travaillé très fort à l'écriture du film. J'ai passé quatre heures par semaine pendant huit mois à travailler les scènes de la fin du film [après l'arrestation de Ricardo, son personnage principal]. Il fallait une fin encourageante, mais réaliste. Des fois, on peut travailler plus vite en comédie, c'est facile de prendre des raccourcis, mais on perd en crédibilité et on perd les gens.