La décision du gouvernement Couillard de réduire de 20 % le crédit d'impôt aux films québécois est peut-être comptable, mais son effet se fera sentir sur la nature de la cinématographie québécoise, font valoir les producteurs. Et sans une aide supplémentaire de l'État, ceux-ci se demandent comment ils parviendront à convaincre des cinéastes comme Jean-Marc Vallée, Denis Villeneuve et Philippe Falardeau de tourner leurs prochains projets internationaux au Québec.

« La baisse du crédit d'impôt va nous cantonner à rester au Québec, à faire des films tournés presque uniquement au Québec. C'est très important de faire des films à portée internationale comme Incendies, Rebelle, Inch'Allah. Avec la baisse du crédit d'impôt, ce qu'on vient de faire aux Oscars au cours des dernières années ne sera plus possible », dit le producteur Pierre Even.

Un film qui n'aurait pas vu le jour sous le régime actuel des crédits d'impôt : Rebelle, en nomination à l'Oscar du meilleur film étranger en 2013. « Je ne vois pas comment on aurait pu faire Rebelle. La baisse du crédit d'impôt aurait représenté environ 5 % de notre budget [165 000 $ sur un budget total de 3,6 millions] », dit son producteur Pierre Even (Rebelle, Café de Flore), qui fait partie d'un regroupement de producteurs québécois qui sera entendu aujourd'hui à la commission Godbout sur la fiscalité. Ce regroupement compte notamment Luc Déry (Monsieur Lazhar, Incendies, Gabrielle), Denise Robert (Les invasions barbares, De père en flic), Roger Frappier (La grande séduction, Le déclin de l'empire américain), Richard Goudreau (Les Boys) et Christian Larouche (Louis Cyr, Gerry). En plus de la hausse du crédit d'impôt, ils suggèrent un nouveau fonds pour financer des films d'envergure au Québec.

Le Regroupement des producteurs indépendants de cinéma du Québec s'opposera à la proposition de l'Association québécoise de production médiatique, qui suggère de ramener le crédit d'impôt à son niveau d'antan, mais d'inclure uniquement les dépenses de production au Québec. Les dépenses de production à l'extérieur ne seraient plus admissibles. Si cette formule vaudrait pour les séries télé, ils font valoir qu'elle aurait des effets pervers sur le cinéma québécois, qui tourne davantage à l'extérieur du Québec. « Ce serait la fin du cinéma québécois à l'international », dit Pierre Even.

Sans le retour au crédit d'impôt d'antan (de 18 % à 22,2 % pour les films francophones, de 14 % à 17,5 % pour les films en langue étrangère), les producteurs doutent pouvoir proposer des projets d'envergure à des réalisateurs québécois comme Jean-Marc Vallée, Philippe Falardeau et Denis Villeneuve qui ont commencé à faire des productions américaines. Il y a aussi la concurrence de l'Ontario, dont le crédit d'impôt effectif est d'environ 22,5 %.

« Comment se fait-il que le Québec n'est pas capable de financer les prochains projets de Jean-Marc Vallée et des autres réalisateurs québécois ? », demande le producteur Claude Léger, un spécialiste des coproductions internationales qui a notamment produit au Québec le film Upside Down doté d'un budget de 65 millions et mettant en vedette Kirsten Dunst et Jim Sturgess.

En 2015, Claude Léger voulait produire et tourner en partie au Québec trois films avec un budget de 150 millions. Mais la baisse du crédit d'impôt crée un manque à gagner d'environ 15 millions sur ces projets. Celui qui produit des films au Québec depuis 1967 a enregistré une société en Ontario et attend de connaître la décision du gouvernement Couillard avant de décider quelle province il choisira. « Je veux produire au Québec, mais ça va dépendre du crédit d'impôt », dit-il.