Ils sont parmi les meilleurs du monde dans leur domaine. Et ils travaillent ici. Portrait de quatre montréalais qui se démarquent.

L'artiste du mouvement

Alex Drouin

Âge: 40 ans

Emploi: Directeur de l'animation chez Ubisoft

Spécialité: L'animation des personnages de jeux vidéo

Distinctions: Les jeux Prince of Persia: Sands of Time et Assassin's Creed, pour lesquels il a créé les mouvements des personnages principaux, ont été acclamés sur cet aspect et ont constitué des percées technologiques.

Quand Alex Drouin a quitté Ubisoft et s'est joint à un concurrent, il y a quelques années, l'entreprise française a poursuivi sa rivale. Et elle a décrit Alex Drouin en Cour comme «l'un des meilleurs animateurs de l'industrie du jeu vidéo» et souligné que «les individus possédant des qualifications telles que [les siennes] étant extrêmement rares sur le marché», son départ lui causait «un préjudice extrême».

Le hasard a fait en sorte qu'il est maintenant de retour chez Ubisoft, où il continue à diriger des équipes d'animation, non sans se plonger régulièrement les mains dans le cambouis.

«Je suis un faiseux, blague-t-il. Si je ne faise pas, je ne suis pas bien.»

Comment en êtes-vous arrivé là?

Il y a une grosse partie de hasard. Je suis entré chez Ubisoft en 1997, dès le début, avant même qu'on installe les ordinateurs. Je sortais du Centre NAD, où j'étais allé étudier après mon DEC en graphisme à Sherbrooke afin d'apprendre la technologie 3D. Ubisoft a embauché plus de la moitié de ma classe. Mon portfolio était assez bon pour qu'ils me demandent si je voulais être modeleur ou animateur. J'ai choisi l'animation.

Une de nos forces, c'est que nous avons pu apprendre par nous-mêmes dans les premières années. Il a fallu trouver nos propres manières de résoudre des problèmes.

Si je suis bon, j'estime que c'est simplement parce que j'ai eu la chance d'être dans les premiers. Mais quand j'ai eu la passe sur le tape, je l'ai mis dedans!

Que faut-il pour être bon dans ce domaine?

Il faut être bon pour communiquer avec le joueur. À la base, faire de l'animation, c'est «poser un personnage dans le temps et dans l'espace». C'est bien simple. Là où ça devient complexe, c'est de communiquer au joueur l'intention du jeu.

De nos jours, on travaille de moins en moins sur la job plate de créer les animations étape par étape, ça a beaucoup été remplacé par la capture de mouvements. On travaille plus sur ce que j'appelle «la recette»: quelle animation sera déclenchée par tel ou tel mouvement du joueur, comment assurera-t-on la transition vers l'animation suivante et ainsi de suite. Dans Assassin's Creed, ce qui nous a permis de nous démarquer, c'est justement le nombre de transitions entre les différentes animations.

Quel est le défi auquel vous faites face le plus régulièrement?

Le problème, c'est que les humains sont trop lents. On essaie de faire quelque chose de réaliste, mais si notre personnage bouge trop comme un humain, c'est plate. Un joueur qui demande à son personnage de sauter s'attend à une réponse immédiate, pas à ce que son personnage doive d'abord prendre une impulsion. Dans la réalité, il y a toujours une intention qui précède un geste. Dans un jeu, nous n'avons pas ce luxe de savoir à l'avance ce que le joueur veut faire.

Est-ce qu'un animateur passe ses journées à observer comment les gens bougent autour de lui?

Pas après 15 ans! Je suis plus passionné de jeu que d'animation proprement dite. Aller parler d'animation dans un bar avec une bière, pas tellement... Mais je peux parler de design de jeu, comment prendre des trucs simples de la vie et en faire un jeu.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Alex Drouin

Dans l'ombre des grands musiciens

Richard King

Âge: 48 ans

Emploi: Professeur agrégé, École de musique Schulich de l'Université McGill

Spécialité: Enregistrement sonore

Distinctions: Gagnant de 12 prix Grammy, il est le seul ingénieur de son à avoir récolté des statuettes autant pour la musique classique (11) que non classique (1). Ses étudiants l'ont aussi élu professeur de l'année en 2013.

«Placer les micros, ajuster les niveaux, équilibrer les instruments après coup...»

C'est ainsi que Richard King résume le métier qu'il a longtemps pratiqué à New York et qu'il continue à pratiquer tout en l'enseignant depuis cinq ans à l'Université McGill.

«Je travaille généralement de concert avec un réalisateur. Lui se concentre sur la musique elle-même pendant que moi je surveille le son. Lui va voir si la clarinette joue une fausse note, moi si elle ne joue pas assez fort.»

Né en Angleterre, M. King a rapidement déménagé en Nouvelle-Écosse, où il a commencé à jouer de la musique autant dans des groupes de punk que dans des orchestres classiques de jeunes. Après un baccalauréat en musique à Dalhousie et une maîtrise spécialisée en enregistrement à McGill, il se trouve un premier emploi chez Sony Classical, à New York. Il y passera quelques années, avant de se lancer à son propre compte puis de revenir à Montréal en tant que professeur.

«Je suis connu pour offrir un son naturel, affirme-t-il. Je n'essaie pas de changer le son des instruments, j'essaie de reproduire le son qu'ils produisent sur scène. Je reçois même des appels de gens de la musique pop quand ils cherchent un son naturel.»

Beaucoup de patience

Selon M. King, il faut à la base détenir une solide formation musicale pour devenir bon en enregistrement.

«Ça aide de pouvoir lire la musique et de comprendre ce qui vient.»

Il faut aussi beaucoup de patience et une disposition à travailler de longues heures, souvent jusqu'à tard dans la nuit, pour respecter les échéanciers.

«Disons que j'étais bien préparé pour les nuits blanches quand j'ai eu mon bébé!»

Finalement, il faut se souvenir que l'on travaille dans une industrie de service.

«Il faut être là pour le client tout le temps, respecter ses goûts même s'ils ne correspondent pas à nos préférences. Il faut aussi bien évaluer les goûts du client pour comprendre ce qu'il veut vraiment. Quand il nous dit qu'il veut plus de poésie, il faut décoder ce que ça veut dire. Il faut lire dans les têtes un peu parfois.»

C'est lorsqu'il a commencé à enseigner que M. King a réalisé qu'il «maîtrisait bien» son métier, dit-il humblement.

«Il m'a fallu quatre ou cinq ans après être sorti de l'école pour comprendre que j'en avais encore beaucoup à apprendre. Avant, je me croyais déjà au sommet. Certains de mes étudiants sont encore comme ça. Ils n'ont pas encore appris qu'il y a des choses qu'ils ne savent même pas qu'ils ne savent pas.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Richard King

L'anti-espion

Gilles Brassard

Âge: 59 ans

Emploi: Professeur titulaire au Département d'informatique et de recherche opérationnelle de l'Université de Montréal et Chaire de recherche du Canada en informatique quantique

Spécialité: Information quantique, cryptage quantique et téléportation quantique

Distinctions: Établi en 2012 par l'agence Reuters comme un candidat au prix Nobel de physique

Né en 1955, informaticien de formation, Gilles Brassard vient de terminer un doctorat en cryptographie à l'Université Cornell. Il se baignait dans l'océan à Porto Rico, en marge d'un congrès où il devait être conférencier, lorsqu'un inconnu l'a abordé.

«Il m'a approché et m'a dit qu'il savait utiliser la mécanique quantique pour créer des billets de banque qui ne pouvaient pas être copiés, raconte M. Brassard. Je l'ai écouté avec intérêt et le temps de revenir à la rive, j'avais pensé à une façon d'améliorer l'idée.»

L'inconnu s'appelle Charles H. Bennett, et les deux hommes sont encore de proches collaborateurs.

Années 80

Avec M. Bennett, Gilles Brassard s'intéresse à la cryptographie quantique. Les informations quantiques ne peuvent être ni copiées ni même mesurées sans qu'elles soient perturbées. Toute interception par un espion devient donc détectable, d'où l'intérêt pour la cryptographie.

Leurs efforts ont débouché sur un prototype à la fin des années 80.

«Nous sommes des théoriciens, notre application n'était pas commerciale. D'autres ont suivi avec des prototypes plus évolués, et la technologie en est venue à être commercialisée. Ce n'était plus intéressant pour moi, j'aime faire des choses de science-fiction.»

1992

Le projet de «science-fiction» de M. Brassard est la téléportation quantique. La découverte théorique est survenue dans ses bureaux, à Montréal, en 1992.

Il ne faut pas confondre téléportation quantique et la téléportation des oeuvres de science-fiction comme Star Trek. La première ne déplace pas de matière, seulement de l'information. Sa principale utilité est d'allonger la distance possible entre l'émetteur et le récepteur d'un message codé avec la cryptographie quantique, jusque-là limitée à environ 100 kilomètres.

1993

MM. Brassard, Bennett, Claude Crépeau, Richard Jozsa, Asher Peres et William Wootters ont signé un article scientifique sur la téléportation quantique dans Physical Review Letters.

2001

Gilles Brassard est devenu titulaire de la Chaire de recherche du Canada en informatique quantique.

2012

L'agence de presse Thomson Reuters a évoqué le nom de Gilles Brassard et ses coauteurs de l'article de 1993 à titre de candidats au prix Nobel de physique. L'écart de 19 ans depuis la parution de l'article est dans les normes, selon M. Brassard, et les prévisions de Reuters sont généralement bien avisées.

«Ils ne prévoient pas nécessairement qui va gagner l'année même, mais qui devrait gagner dans les prochaines années.»

Quantique

Mécanique quantique ou théorie quantique: branche de la physique qui traite du comportement des objets physiques au niveau microscopique (atome, noyau, particules).

Source: Larousse

Gilles Brassard

Réinventeur de caméras

Paul Green

Âge: 35 ans

Emploi: Chef des technologies à Algolux

Spécialité: Photographie de calcul (computational photography)

Distinctions: Auteur de conférences importantes sur le sujet et coinventeur de la technologie d'Algolux

Plus Paul Green déménage, plus il fait froid.

Natif du sud de la Californie, il s'est installé un peu plus au nord, à Berkeley, pour son baccalauréat en génie électrique et informatique. Ont suivi quelques années dans la région de Boston, où il a notamment fréquenté avec énormément de succès les classes et les laboratoires du MIT.

Depuis maintenant deux ans, c'est à Montréal, où il a suivi sa femme, devenue professeure à l'Université de Montréal, qu'il met son expertise à profit.

Cette expertise, c'est la capacité de réinventer la photographie en combinant des connaissances en optique et en logiciels.

«L'optique est une très vieille science qui remonte à Galilée, tandis que l'informatique est évidemment beaucoup plus récente, explique-t-il. Depuis environ 10 ans, il y a une véritable convergence entre les deux et c'est ma spécialité: comment créer des optiques et des logiciels différents puis les faire travailler ensemble pour réaliser des choses que l'on ne pouvait pas faire avec seulement l'un ou l'autre.»

Dans le cas d'Algolux, cette expertise est mise à profit pour créer des logiciels qui corrigent les inévitables aberrations optiques des lentilles. Du coup, on peut créer des appareils photo plus minces, moins chers et de meilleure qualité, en particulier pour les téléphones mobiles. On peut même envisager de créer des caméras si petites qu'elles pourraient être placées dans de nouveaux endroits.

La technologie d'Algolux génère de l'intérêt de la plupart des grands fabricants d'appareils mobiles ou de composantes pour ceux-ci.

Ce ne serait pas la première technologie du genre à faire le saut dans des appareils grand public.

«La photographie de calcul commence à devenir grand public, note M. Green. Des trucs sur lesquels nous travaillions il y a cinq ou six ans sont maintenant visibles dans certains appareils. Je pense par exemple à la photographie HDR (High Dynamic Range), à la captation d'un environnement 3D comme le projet Tango de Google ou encore les caméras qui captent l'ensemble du champ lumineux et permettent ensuite de faire la mise au point, comme celle de Lytro.»

Pour exceller dans son domaine, il faut d'abord et avant tout «aimer aller à l'école longtemps», estime M. Green avec humour.

«Je ne suis pas exceptionnel, j'y ai juste mis beaucoup de temps et d'efforts. Et je suis tombé sur de bons mentors.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Paul Green