Alors que son actionnaire de contrôle, Pierre Karl Péladeau, dénonce en campagne électorale l'utilisation des paradis fiscaux, Québecor Média (T.QBR.B) possède une entreprise à la Barbade, une île des Caraïbes généralement considérée comme un paradis fiscal.

Nurun, agence-conseil en innovation numérique, design et technologie qui est une filiale de Québecor Média, détient depuis 2005 une entreprise inscrite à la Barbade, Intellia (Barbados) Ltd. Québecor indique toutefois «n'avoir tiré aucun avantage fiscal» de la création d'Intellia à la Barbade, notamment parce que cette dernière n'a jamais reçu ni versé de dividende.

Intellia a été créée en décembre 2005 pour que Nurun puisse faire l'acquisition de China Interactive, une entreprise privée de Shanghai avec 35 employés à l'époque. La transaction a été annoncée officiellement en janvier 2006. Intellia détient 100% des actions de China Interactive. «Cette structure a été créée uniquement pour des fins d'acquisition et ne soustrait pas Nurun de ses obligations fiscales puisque sa compagnie opérante [China Interactive] paie ses impôts en fonction des lois fiscales [en Chine]», indique Martin Tremblay, vice-président des affaires publiques de Québecor Média.

Québecor Média indique que «Nurun est en processus de démanteler Intellia» depuis deux ans et que «le processus devrait être complété sous peu». China Interactive a été acquise par Québecor Média «à des fins purement stratégiques puisque certains clients de Nurun opérant à l'échelle internationale souhaitaient que leurs activités en Chine soient desservies par une agence [avec un bureau en Chine]», indique Québecor Média.

Une «problématique importante»

Pierre Karl Péladeau, actionnaire de contrôle de Québecor et candidat du Parti québécois dans la circonscription de Saint-Jérôme, a décliné notre demande d'entrevue au sujet d'Intellia. En entrevue radio à l'émission de Paul Arcand au 98,5 FM la semaine dernière, M. Péladeau, qui a été président et chef de la direction de Québecor de 1999 à 2013, s'est prononcé contre les paradis fiscaux, «une problématique très importante».

«Chez Québecor, durant les 14 années où j'ai été à la direction de Québecor Média, on n'a jamais utilisé ce qu'on appelle des schemes fiscaux [stratagèmes fiscaux].» Dans ses anciennes fonctions chez Québecor, M. Péladeau indiquait ne pas avoir eu à évaluer les propositions de fiscalistes. «Ça relevait et ça relève du département des finances, a-t-il dit. Ceci étant, la décision a été de ne pas utiliser ce genre de véhicules.»

La Barbade, avantageuse pour les dividendes

Les conventions fiscales internationales rendent plus avantageux le versement de dividendes d'une société chinoise à une société établie à la Barbade plutôt qu'à une société établie au Canada. En clair, un dividende passant par l'axe « corporatif » Chine-Barbade-Canada est assujetti uniquement à un impôt de 5% (en Chine), comparativement à un impôt de 10% (en Chine) pour un dividende passant de la Chine au Canada, en vertu des conventions fiscales internationales. Dans les deux scénarios (Chine-Barbade-Canada ou Chine-Canada), le fisc canadien ne perçoit aucun impôt sur les dividendes en vertu des conventions fiscales.

Québecor Média fait valoir que depuis l'acquisition de China Interactive, cette dernière n'a jamais versé de dividende à sa société-mère Intellia à la Barbade. Selon Québecor Média, les profits de China Interactive sont «minimes» et «réinvestis» chaque année dans l'entreprise chinoise. «Aucun profit n'a été ramené au Canada [ou ailleurs dans le monde]. Bien au contraire, Québecor a même dû réinvestir dans cette filiale à quelques reprises», indique M. Tremblay.

Selon trois experts en fiscalité, la présence d'un intermédiaire (Intellia) à la Barbade peut réduire la facture fiscale en Chine sur les dividendes versés par China Interactive à son actionnaire (aucun impôt n'est payable au Canada en vertu des règles fiscales).

«On réduit ainsi de 10% à 5% l'impôt sur les dividendes en Chine, pas l'impôt au Canada. On voyait souvent ce type de structures il y a 10 ans. Aujourd'hui, la Chine conteste plus souvent ce type de transactions», dit Éric Labelle, associé en fiscalité internationale à la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton.

«Une entreprise ne crée pas une société à la Barbade pour le plaisir. La Barbade sert souvent d'intermédiaire pour payer moins d'impôts sur les dividendes», dit André Lareau, professeur en droit fiscal à l'Université Laval, qui qualifie la Barbade de «pays avec une fiscalité très avantageuse».

«Il n'y a pas de définition formelle d'un paradis fiscal, mais la plupart des experts mettent la Barbade dans le groupe de pays qui ont les caractéristiques d'un paradis fiscal, dont des taux d'imposition avantageux pour les sociétés internationales», dit Daniel Sandler, avocat et associé en fiscalité à la firme Couzin Taylor à Toronto.

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Legault, Transat et la Barbade

Quelques mois avant le départ de François Legault, Air Transat [[|ticker sym='T.TRZ.B'|]] a créé, en octobre 1996, une société à la Barbade, Transat A.T. (Barbados) Ltd. Seize ans plus tard, la société a été dissoute depuis longtemps, mais le chef de la Coalition avenir Québec se rappelle bien les circonstances de la création de cette société à la Barbade et estime avoir respecté les lois et l'esprit des lois fiscales.

«Nous avions des pertes dans une filiale en France [Look Voyages], et ces pertes [qui peuvent être déductibles si elle sont transférées à d'autres filiales] allaient venir à échéance, dit-il en entrevue à La Presse. Nous allions les perdre, donc Ernst&Young nous a proposé de créer une société à la Barbade pour ne pas les perdre. Ce que je me rappelle, c'est que Transat faisait un prêt à la société à la Barbade, qui faisait un prêt à Look Voyages. Il n'y a eu que des prêts [par l'entreprise à la Barbade]. La loi et l'esprit de la loi [pouvoir déduire des pertes sur des profits futurs] ont été respectés. Ça ne peut pas être comparé à des gens qui ne veulent pas payer d'impôt. Il n'y a pas eu d'avantage, et quelques années plus tard, on m'a dit qu'on avait perdu les pertes de toute façon.»

Comme haut dirigeant de Transat, M. Legault se rappelle avoir rejeté plusieurs idées d'avocats et de fiscalistes par équité fiscale. «À l'époque, certaines compagnies aériennes amortissaient leurs avions dans deux pays différents pour sauver de l'impôt. J'ai toujours été contre ça, j'ai toujours dit non à ça.»