C'est peu connu, mais le Québec est la province qui fait le plus de commerce avec la Russie. Pas étonnant donc que dans plusieurs régions, des entrepreneurs suivent de près l'évolution de la situation.

La firme d'Ivan Zhelyazkov, Technology Links, aide des entreprises québécoises à percer le marché russe. Ce n'est pas une mince affaire vu les nombreux obstacles réglementaires, culturels et politiques qui se dressent devant les exportateurs étrangers.

«En Russie, il faut d'abord établir la confiance, ce qui prend du temps, dit M. Zhelyazkov. Si on la détruit, ça pourrait prendre des années pour la rebâtir.»

Les clients de Technology Links sont actifs dans les secteurs des transports, de l'énergie, des mines, de la métallurgie et de l'environnement. «Ils sont un peu inquiets, mais pour l'instant, la situation reste acceptable, relate Ivan Zhelyazkov, qui est originaire de Bulgarie. Par contre, il ne faudrait pas que ça aille plus loin parce que c'est sûr que ça nuirait au commerce.»

Ce dont parle M. Zhelyazkov, c'est la possibilité que le Canada et les autres pays occidentaux imposent des sanctions économiques plus musclées à la Russie. Jusqu'ici, l'Occident et la Russie se sont contentés de sanctions ciblant des officiels gouvernementaux, ce qui n'a pas d'impact sur les échanges commerciaux.

«Les sanctions qu'on pourrait vouloir imposer à la Russie pour la punir, elles puniraient en fait davantage les exportateurs canadiens que la Russie elle-même», prévient Gilles Breton, ancien diplomate en poste à l'ambassade du Canada à Moscou. Il préside maintenant la section Ottawa-Montréal de la Canada Eurasia Russia Business Association.

«On ne dit certainement pas au gouvernement qu'il ne peut pas prendre position politiquement, tient à préciser M. Breton. Mais on encourage la résolution de cette crise-là par des moyens diplomatiques et non des sanctions commerciales.»

En 2013, les exportations du Québec en Russie ont totalisé 564,2 millions alors que les importations se sont chiffrées à 259,2 millions. La province accapare pas moins de 36% du commerce entre la Russie et le Canada. Ce n'est pas pour rien que l'ancien premier ministre Jean Charest a dirigé une mission économique à Moscou en 2009 et que le Québec y a ouvert un bureau en 2012.

Le porc de la discorde

Les échanges ont toutefois diminué par rapport à 2012. La Russie occupait en 2013 le 24e rang des partenaires commerciaux du Québec alors qu'elle s'était classée 18e l'année précédente. La principale raison? La chute des expéditions de porc, principal produit d'exportation québécois en Russie.

L'an dernier, la Russie a banni les importations de porc dont l'alimentation contient de la ractopamine, un additif permis au Canada et aux États-Unis, mais interdit en Europe. Les meuneries, les éleveurs et les abattoirs canadiens ont donc dû modifier leurs pratiques pour regagner le droit d'exporter en Russie, ce qui a grandement nui au commerce pendant une bonne partie de l'année.

Le problème est désormais réglé et Jacques Pomerleau, président de Canada Porc International, prévoit que les exportations reviendront aux niveaux d'avant 2013. Elles sont d'ailleurs en forte croissance depuis le début de 2014.

M. Pomerleau ne s'attend pas à ce que le Canada impose des sanctions commerciales à la Russie. Il ne croit pas non plus que les Russes se lanceront dans un boycottage des produits occidentaux. Ses craintes sont ailleurs. «Ce qui fait mal, c'est la hausse fulgurante des prix du porc en Amérique du Nord» en raison d'une épidémie de diarrhée qui sévit actuellement aux États-Unis, relève-t-il.

Le recul du rouble par rapport aux autres devises n'aide pas. Depuis le début de l'année, le rouble a perdu plus de 4% de sa valeur par rapport au huard, ce qui rend les produits canadiens plus chers pour les Russes. «S'il y a une décroissance de nos ventes, ça va être à cause de la hausse des prix», explique Jacques Pomerleau.

La faiblesse du rouble a déjà fait reculer les ventes de BRP, le fabricant de motoneiges, de motomarines et de véhicules tout-terrain de Valcourt. Et vendredi, le chef des finances de l'entreprise, Claude Ferland, a dit prévoir une baisse de 20% des volumes de vente en Russie en 2014 «à cause de la situation géopolitique».

L'incertitude politique et économique en Russie se fait aussi sentir chez CEL Aerospace Test Equipment, une entreprise de Longueuil qui est en pourparlers avec des clients potentiels là-bas. «Ça ralentit depuis six mois, un an, affirme Gérard Perron, directeur des ventes et du marketing. On nous dit que les Jeux olympiques ont coûté cher, que les budgets ont été coupés et que les projets sont retardés.»

Il n'y a pas de doute, l'année 2014 sera éprouvante pour les entreprises québécoises actives dans le plus vaste pays du monde.

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Des entreprises québécoises au pays de Poutine

Perlimpinpin

En 2011, l'entreprise de Québec expédiait ses premiers habits de neige pour enfants en Russie. Aujourd'hui, un habit sur cinq que fabrique Perlimpinpin est vendu en Russie ou en Ukraine. «La Russie, c'est un marché naturel en raison du climat que nous partageons», a déclaré plus tôt cette année la vice-présidente de l'entreprise, Isabelle Matte, au quotidien Le Soleil.

Bombardier

En 2013, la multinationale québécoise a vendu pour 240millions US d'avions et de produits ferroviaires en Russie. C'est moitié moins qu'il y a cinq ans. La Russie demeure tout de même un marché important pour Bombardier. L'entreprise y a décroché l'an dernier un contrat de 2,6 milliards US pour des avions CSeries. Sa division ferroviaire a établi des coentreprises avec des firmes russes. «On suit la situation de près», affirme une porte-parole, Isabelle Rondeau.

Opsens

L'entreprise de Québec, qui fabrique des capteurs à fibre optique pour l'industrie pétrolière, a fait ses premiers pas en Russie l'an dernier. Elle a conclu une entente avec une société locale qui vend les produits d'Opsens à des géants comme Lukoil et Gazprom. «Ça démarre lentement, mais le potentiel en Russie pour une entreprise comme la nôtre est énorme», a indiqué en février au Soleil le directeur du développement des affaires d'Opsens, Charles Leduc.

Cirque du Soleil

La célèbre troupe effectue des tournées en Russie depuis plusieurs années. Elle vient de présenter son spectacle Dralion à Moscou. L'an dernier, les Russes ont pu voir Kooza, Alegria et Michael Jackson The Immortal World Tour. L'an prochain, ils auront droit à Quidam. La crise actuelle est particulièrement délicate pour le Cirque, qui compte beaucoup de Russes et d'Ukrainiens parmi ses artisans. Pour l'instant, tout se passe bien, assure une porte-parole, Renée-Claude Ménard.

Honco

L'entreprise de Lévis conçoit et assemble des bâtiments d'acier. Il y a deux ans, elle a décroché le contrat de construction d'un complexe d'entraînement de bobsleigh au nord de Moscou. Rien d'exceptionnel pour Honco, qui tire des revenus de 10 millions par année de la Russie, où elle construit des stades de soccer, des arénas et des bâtiments miniers depuis 2002. À partir de Lévis, une employée d'origine russe travaille à temps plein au développement du marché pour Honco.

Alimentation Couche-Tard

Avec l'acquisition du détaillant norvégien Statoil Fuel&Retail (SFR), en 2012, le géant québécois a mis la main sur 33 stations-service en Russie. Ce n'est qu'une fraction des 2200 magasins de SFR, mais la Russie est un marché attrayant pour Couche-Tard puisque son économie croît plus rapidement que celle des pays scandinaves. La semaine dernière, quand des journalistes l'ont interrogé à propos de l'impact de la crise actuelle sur les activités de Couche-Tard en Russie, le PDG Alain Bouchard n'a pas voulu faire de commentaires.

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PRINCIPALES EXPORTATIONS QUÉBÉCOISES EN RUSSIE

1. Viande de porc (55,5% du total)

2. Turboréacteurs, turbopropulseurs et turbines à gaz (5,4%)

3. Avions et autres véhicules aériens (5,3%)

4. Panneaux de particules de bois (4,8%)

5. Véhicules conçus pour les déplacements sur la neige (3,8%)

Source: ministère des Finances et de l'Économie