À l'instar de plusieurs entreprises oeuvrant dans l'industrie de la construction, les firmes de génie-conseil et d'ingénierie du Québec ont vu leur réputation être mise à mal en 2013, dans la foulée des travaux de la Commission Charbonneau.

Dessau, SNC-Lavalin, Genivar, Tecsult (Aecom), Roche et BPR, pour ne nommer que celles-là, ont toutes été éclaboussées, selon le cas, par des allégations de collusion, de corruption ainsi que de financement politique illégal.

Pour plusieurs de ces entreprises, la route de la rédemption au sein de l'opinion publique pourrait s'annoncer assez longue.

Par exemple, Dessau s'est retrouvée temporairement sur la «liste noire» de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pendant quelques mois, jusqu'à sa réhabilitation, le 28 novembre dernier, ce qui empêché la firme de soumissionner sur des contrats publics au Québec.

Le témoignage devant la Commission Charbonneau de Rosaire Sauriol, qui occupait le poste de vice-président chez Desseau pour l'Amérique latine, avait contribué à influencer la décision du chien de garde des marchés financiers.

M. Sauriol avait entre autres exposé les pratiques de collusion et de fausse facturation de Dessau destinées à financer illégalement des partis politiques.

«Ces firmes-là se sont laissé emprisonner dans une vision de développement d'affaires et de profit, explique André Lacroix, professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire d'éthique appliquée. Elles ont secondarisé leur mission de professionnels.»

Selon lui, au fil du temps, une logique de «développement des affaires» s'est graduellement mise à prendre toute la place au sein de certaines firmes de génie-conseil et d'ingénierie.

«Elles (les entreprises) se sont laissé aveugler par cela, souligne M. Lacroix. Elles ont déposé des devis corrects, mais ont peut-être gonflé les prix afin de se conformer aux règles de pénétration du marché sans poser de questions.»

Cette mise à l'index de Dessau avait incité la firme d'ingénierie à effectuer une purge au sein de sa direction, mais avait aussi entraîné la mise à pied - la plupart de façon temporaire - de quelque 350 employés de l'entreprise en raison de ses déboires.

De son côté, SNC-Lavalin, dont la réputation a été ternie depuis la tenue d'une enquête interne ayant permis de mettre au jour des paiements suspects d'une valeur totale de 56 millions de dollars, attend toujours sa certification de l'AMF.

Les déboires de la société montréalaise en ce qui a trait aux allégations de malversation ne se limitent pas uniquement au Québec.

Le 17 avril dernier, SNC-Lavalin, ainsi qu'une centaine de ses filiales, avaient été radiées par la Banque mondiale de tous les appels d'offres liés à des projets financés par l'institution pour les 10 prochaines années en raison d'irrégularités en lien avec l'octroi d'un contrat de 50 millions au Bangladesh.

«Effectivement, ce n'est pas un moment facile pour la profession, pas seulement pour les firmes et les entreprises, reconnaît en entrevue le président de l'Ordre des ingénieurs du Québec, Daniel Lebel. Ça ne changera pas du jour au lendemain.»

Des 850 dossiers d'enquête sur lesquels se penche actuellement l'Ordre, 140 sont liés directement à la collusion ainsi qu'à la corruption, selon M. Lebel. Quelque 400 enquêtes concernent également le financement politique illégal.

Plus de 1200 appels ont été traités par l'Ordre des ingénieurs cette année sur sa ligne éthique, ce qui représente une progression de plus de 15 pour cent par rapport à 2012.

S'il salue les moyens mis de l'avant pour tenter d'enrayer les pratiques malhonnêtes, Thierry Pauchant, professeur titulaire en charge de la Chaire de management éthique à HEC Montréal, croit que l'approche de droit prime trop sur l'éthique en entreprise.

«Un changement de culture pourrait s'avérer difficile en donnant simplement (aux gens) l'illusion que tout va se régler en punissant les pratiques malhonnêtes, explique-t-il. Par contre, ça fait bouger énormément de monde. Beaucoup de gens ont quitté des firmes.»

Selon M. Pauchant, les ordres professionnels concernés ainsi que les autorités devront se pencher sur le dossier des bonnes pratiques en entreprise.

«J'attends de voir des ordres professionnels qui vont recommencer à reparler de l'amour du travail et d'un produit bien fait, souligne le spécialiste. Là, on parle de ne pas frauder et de ne pas être criminel. Bien sûr, il faut en parler, mais il faut faire plus.

«L'éthique, ce n'est pas d'arrêter d'être malhonnête, mais plutôt d'encourager l'honnêteté», ajoute-t-il.

S'il estime que les fautifs méritent d'être punis pour leurs gestes posés dans le passé, M. Lacroix ajoute que les firmes et les entreprises concernées ne doivent pas seulement se contenter de subir les conséquences de leurs actes.

«Il faut vraiment éviter de répondre essentiellement par des réponses de gestion de la gouvernance, explique le professeur de l'Université de Sherbrooke. C'est bon, bien sûr, mais il faut faire plus que ça et aussi se pencher sur le dossier de l'éthique.»

L'année 2014 pourrait également s'avérer éprouvante pour les firmes d'ingénierie, de génie-conseil ainsi que les autres entreprises concernées par des allégations de corruption et de malversation dans le secteur québécois de la construction.

Le gouvernement Marois a déposé, en novembre dernier, le projet de loi 61, qui vise à récupérer plusieurs centaines de millions de dollars versés en trop à des entreprises visées par ces allégations.

Le document vise à offrir aux entreprises la possibilité de rembourser les sommes qu'elles auraient perçues injustement ainsi qu'à faciliter les poursuites civiles en l'absence de démarche volontaire de la part des fautifs.

Si elles veulent éviter des poursuites, les entreprises du secteur de la construction ou du génie-conseil pourront volontairement choisir de profiter d'un programme de remboursement, dont l'administration sera confiée à une personne indépendante, comme un ancien juge.

Une entente dans ce cadre n'empêchera toutefois pas les poursuites criminelles qui pourraient être intentées contre des individus.

«Nous sommes en plein changement et 2014 sera encore une grosse année de travail, reconnaît M. Lebel, le président de l'Ordre des ingénieurs du Québec. Il ne faut pas dire »on en a assez parlé et là on met ça de côté«.»