Les nombreuses protections juridiques données aux salariés au Québec ont pour conséquences de rendre moins attrayante l'option de se lancer en affaires.

Telle est la thèse défendue par le juriste A. Edward Aust, qui vient de publier une mise à jour de son imposant ouvrage Le contrat d'emploi, aux éditions Yvon Blais, qu'il a écrit en collaboration avec son fils Thomas Laporte Aust, petit-fils de feu Pierre Laporte, ancien ministre libéral.

Pour rectifier le tir, les auteurs plaident en faveur d'une amélioration des protections à l'entrepreneur. Selon eux, la prospérité de la société dépend du nombre de gens d'affaires et du succès qu'ils obtiennent.

«Une société qui vise un avenir prospère doit développer la capacité d'innovation et la tolérance au risque afin de mettre sur pied les industries de demain. Il faut avoir un nombre suffisant d'entrepreneurs québécois pour assurer un avenir économique solide et la création d'emplois stables», lit-on à la page 1177 de l'ouvrage.

Recours juridiques

Selon une étude de 2011 réalisée en collaboration avec la Caisse de dépôt et placement du Québec, que citent les auteurs, la province manque cruellement d'entrepreneurs, notamment dans la cohorte de la population âgée de 30 à 39 ans.

Tout le chapitre 21 du livre, intitulé «Réflexions sur les contrats et le milieu de travail», est consacré aux protections à donner à l'entrepreneur. «Le temps est venu où les entrepreneurs jouissent d'un encadrement et de recours juridiques aussi attirants et valorisés par la société que ceux offerts par le contrat de travail», y est-il écrit.

«Ce genre de mesures pourrait avoir un effet sur les gens qui envisagent de se lancer en affaires, mais qui ne le font pas à cause des risques associés à une entreprise naissante», dit Étienne St-Jean, professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières et titulaire de la Chaire de recherche UQTR sur la carrière entrepreneuriale. Il pense en particulier à l'individu qui songe à devenir travailleur autonome.

Parmi les protections à améliorer, les auteurs de l'ouvrage parlent de la nécessité de renforcer les mesures favorisant le paiement rapide des sommes dues à l'entrepreneur. «Plusieurs entrepreneurs perdent leur entreprise, entre autres, en raison du manque de recours légaux pour se faire payer à temps», soulignent-ils. La Cour des petites créances est utile à cet égard, mais elle entend seulement les causes dont la somme en litige est de 7000$ ou moins. (Avec son projet de loi 28 déposé en avril dernier, le gouvernement Marois veut faire passer cette limite à 15 000$.)

«L'entrepreneur qui a déjà dépensé son argent pour acheter son équipement et qui attend de se faire payer pour son ouvrage a beaucoup d'argent en jeu, comparativement au salarié qui n'a pris aucun risque et qui n'a pas dépensé son argent. Pourtant, c'est le salarié qui a droit à un recours supérieur [en s'adressant à la Commission des normes du travail], pas l'entrepreneur», explique M. Aust, au téléphone.

Réformes dans le bon sens

Les auteurs saluent au passage certaines réformes qui ont été réalisées dans les dernières années et qui vont dans le bon sens. Ils énumèrent la modernisation du Code civil en 1994, la procédure allégée devant les tribunaux et la loi récente pour réduire les coûts et les délais du système de justice.

Ils déplorent néanmoins la timidité de ces réformes. «Elles nous semblent manquer d'aplomb pour apporter le support requis aux personnes prêtes à prendre des risques et à faire face aux écueils qui surviennent à la naissance et pendant la vie d'une entreprise».

Entre autres choses, les auteurs remettent en question la pertinence de donner le droit au client de mettre fin à un contrat avec un entrepreneur sans préavis, tel que le prévoit l'article 2125 du Code civil. «C'est injuste de pouvoir briser un contrat à mi-chemin», dit M. Aust.