Tourisme Montréal estime qu'environ 6% des touristes venus à Montréal en 2012 sont gais. Toutefois, ceux-ci sont associés à 10% des dépenses totales, soit plus de 240 millions. En prenant conscience de l'impact indéniable du tourisme rose, plusieurs destinations internationales livrent bataille à Montréal afin de séduire la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT).

Les chiffres sont sans équivoque: les gais et lesbiennes voyagent plus et dépensent plus que les hétéros.

Selon une étude de Out Now Consulting, le potentiel du marché touristique LGBT mondial pour les voyages d'agrément est passé de 165 milliards de dollars en 2012 à 181 milliards en 2013. Parmi les facteurs influençant le pouvoir d'achat des gais et lesbiennes, notons que 94,3% des touristes LGBT qui ont visité Montréal l'an dernier n'avaient pas d'enfant à la maison, selon Community Marketing.

Puisque les hommes (toutes orientations confondues) ont encore un revenu plus élevé que les femmes en général, les ménages composés de deux hommes ont en moyenne un revenu plus élevé que celui des couples hétérosexuels.

Une ouverture qui vaut de l'or

La nature «gay friendly» de Montréal génère donc des millions en retombées économiques. «En voyage, les touristes veulent se libérer et laisser derrière eux les difficultés de leur quotidien, soutient Tanya Churchmuch, gestionnaire du marché gai et lesbien à Tourisme Montréal.

«Pour quelqu'un de Toronto, qui peut marcher main dans la main avec son conjoint, la question se pose moins. Mais pour les touristes des Prairies, de l'Asie, de l'Afrique ou de l'Amérique latine, l'ouverture de Montréal devient un réel attrait. On leur offre de découvrir notre culture, notre gastronomie et nos événements en étant eux-mêmes.»

Il y a 20 ans, les touristes gais étaient courtisés par Berlin, Amsterdam, Provincetown, San Francisco et quelques autres villes. Aujourd'hui, l'offre touristique orientée vers les LGBT a décuplé. Montréal et le reste de la province doivent donc redoubler d'efforts pour se démarquer.

Depuis 1999, le magazine Fugues propose un portrait de l'ensemble de l'offre touristique «gay friendly» au Québec en distribuant le Guide Arc-en-ciel en français et en anglais. Parmi les 48 000 exemplaires imprimés en 2013, plusieurs milliers sont distribués aux Outgames d'Anvers, à l'Europride de Marseille, ainsi qu'à Paris, Manchester, Boston, Provincetown, New York, Burlington, Plattsburgh, Ottawa, Toronto, Calgary et Vancouver.

De son côté, Tourisme Montréal a lancé plusieurs offensives: publicités dans les médias LGBT, tournées de presse avec des journalistes étrangers, création du blogue The Montréal Buzz où les tendances de la métropole sont présentées selon une «approche gaie», lancement du concours Queer of the year, invitation de personnalités LGBT influentes qui parlent de leur expérience montréalaise sur les réseaux sociaux. L'organisme touristique a même joué la carte de l'humour, du sexe et de l'ironie avec la vidéo Dave does Montreal, au milieu des années 2000.

Sur son site web, on retrouve un itinéraire LGBT rempli de suggestions à voir dans le Village, le Vieux-Montréal, le Quartier chinois, le Plateau et le Mile End: arrêts culturels et gastronomiques incontournables, ainsi que des commerces dont les propriétaires sont gais ou lesbiennes.

Malgré les succès de ces nombreuses actions, le retrait du soutien financier gouvernemental, tant au fédéral qu'au provincial, inquiète Robert Laramé, consultant au dossier du tourisme LGBT à la Chambre de commerce gaie du Québec. «On s'est assis sur nos acquis, dit-il. Les études de la firme CMI démontrent que le tourisme rose pourrait générer plus de 500 millions par année à Montréal et Québec. Si on ne l'atteint pas, il faut se demander ce qui se passe. Montréal fait encore partie des préférences des touristes LGBT américains et canadiens-anglais. Mais il faut continuer le travail. Le gouvernement doit s'impliquer comme par le passé.»

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Charles Lapointe, leader mondial du tourisme rose

Lors du congrès annuel de l'International Gay&Lesbian Travel Association (IGLTA) en mai dernier, le PDG de Tourisme Montréal, Charles Lapointe, a été honoré pour son implication et sa volonté d'améliorer l'accueil des touristes gais et lesbiennes dans la métropole, depuis 20 ans.

Lorsqu'il a pris connaissance des premières recherches sur le marché du tourisme LGBT aux États-Unis, en 1990, M. Lapointe a tout de suite compris que le créneau avait un vaste potentiel inexploité. «Je remarquais depuis un bon moment que le Village gai de Montréal se développait de mieux en mieux, dit-il. Il y avait là un embryon d'organisation commerciale. La communauté gaie était très dynamique. Il fallait faire quelque chose.»

Trois ans plus tard, le tourisme rose a été intégré à la planification budgétaire de Tourisme Montréal et 250 000$ ont été investis pour attirer la communauté LGBT. «Au départ, c'était une décision à portée strictement économique et touristique. Mais avec les années, on s'est impliqué de plus en plus avec les organismes gais et lesbiens de Montréal pour mieux les connaître, créer des réseaux et favoriser une plus grande cohésion.»

Si le transporteur aérien Air Canada est rapidement entré dans le jeu, certains membres de la communauté hôtelière ont d'abord pris le temps d'observer le développement du tourisme rose avant de plonger. «Personne ne s'est jamais opposé à nos démarches, mais les choses ont débloqué quand nous avons obtenu de gros événements: compétitions de chorales gaies et lesbiennes, congrès de l'IGLTA à deux reprises, Outgames en 2006. Tout le monde voulait accueillir les milliers de touristes qui venaient à Montréal pour ces événements», mentionne l'homme à la tête de Tourisme Montréal.

Peu à peu, les intervenants du tourisme montréalais sont tombés amoureux des visiteurs LGBT. «Au-delà des chiffres qui démontrent que leur pouvoir d'achat est plus élevé, les gais et lesbiennes sont des «trendsetters». Ils établissent les tendances. S'ils fréquentent souvent Montréal, ça donne une image très dynamique à la ville.»

Après avoir consolidé la fréquentation des touristes LGBT de 40 à 80 ans, Tourisme Montréal a choisi de porter une attention accrue pour attirer les plus jeunes, qui commençaient à délaisser la métropole. Avec son concours Queer of the year, lancé en 2010, l'organisme invite les gais et lesbiennes du monde entier à participer à une sorte d'Amazing Race montréalaise. Cette année, une entente a également été signée avec GOTV, une chaîne de télévision américaine homosexuelle, afin de produire une série télé qui se déroulera entre New York et Montréal.

En mai 2014, la croisière lesbienne Olivia reviendra à Montréal pour la deuxième fois de son histoire, après un premier arrêt en 1998. «Chaque fois, ce sont 2000 femmes qui séjournent dans les grands hôtels du centre-ville et qui dépensent à Montréal avant leur départ, rappelle M. Lapointe. C'est un marché très important pour nous. Nous aimerions accueillir davantage de croisières gaies ou lesbiennes dans le futur.»

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Des événements rassembleurs

Depuis plus de 20 ans, Montréal a mis sur pied plusieurs événements rassembleurs afin de répondre à la demande.

Aires Libres: 13 mai au 2 septembre 2013

Lors des Outgames en 2006, la rue Sainte-Catherine Est a été réservée aux piétons pendant deux semaines. Sept ans plus tard, ceux-ci monopolisent toujours les rues du Village et profitent des 57 terrasses aménagées devant les restaurants, bars et cafés pendant près de quatre mois. Et pour la troisième année consécutive, Montréal fait parler d'elle grâce aux 200 000 boules roses qui «flottent» dans les airs, entre les rues Saint-Hubert et Papineau.

Divers/Cité: 29 juillet au 4 août 2013

Depuis sa dissociation de Fierté en 2006, Divers/Cité a continué de bâtir sa réputation avec la présence de DJ internationaux et de Mascara, le plus grand spectacle de drag en Amérique. Alors que 72 000 visiteurs uniques ont été comptabilisés en 2007, seuls 17 000 ont tenté l'expérience en 2012. La popularité décroissante de l'événement coïncide avec le déménagement de ses activités vers le Vieux-Port. L'année dernière, la fête gaie a tout de même généré 3,6 millions en dépenses touristiques, grâce à la venue de 5000 visiteurs de l'extérieur. Nouveauté lors de la prochaine mouture: les participants seront invités à des «beach partys» à la plage de l'Horloge.

Fierté: 12 au 18 août 2013

Spectacles, conférences, activités culturelles, concours de drag et défilé font de Fierté un succès grandissant depuis sept ans. En 2012, 165 000 personnes ont assisté au défilé, 70 000 se sont promenées aux kiosques de la journée communautaire et 85 000 ont participé aux autres activités. Près de 40% des visiteurs venaient de l'extérieur de la grande région de Montréal. «Fierté s'installe d'année en année comme un événement LGBT d'ampleur à Montréal, se réjouit Robert Laramé, consultant au dossier du tourisme LGBT à la Chambre de commerce gaie du Québec. Même si on ne défile plus avec la même vigueur pour la défense de nos droits, on le fait pour exprimer notre réalité, nos différences et nos ressemblances. Tous les ans, il se joint de plus en plus d'alliés du reste de la population.»

Black&Blue: 9 au 15 octobre 2013

Festival d'événements-bénéfices gais tenu depuis 1991, le Black&Blue est particulièrement reconnu pour le rave organisé au Palais des congrès de Montréal chaque année en octobre. «Sa clientèle est généralement plus fortunée, indique Robert Laramé. Elle n'hésite pas à rester plus longtemps dans des hôtels plus chers et à se payer de la haute gastronomie.» Par contre, l'événement a perdu en popularité au cours de la dernière décennie, passant de 50 000 participants dans ses meilleures années à 14 000 en 2012.

De janvier à décembre

Des manifestations culturelles comme le FTA, Osheaga Igloofest, Pop Montréal, le Festival de Jazz et les FrancoFolies attirent elles aussi un large auditoire gai et lesbien. À titre d'exemple, les spectacles de La Roux à Osheaga en 2009, et ceux de Liza Minelli et de Rufus Wainwright au Jazz 2012, ont été particulièrement prisés de la communauté LGBT. La présence à Montréal de la formation Tegan and Sara, composée de deux soeurs jumelles lesbiennes, devrait avoir un effet semblable à Osheaga cet été. Notons également l'organisation du premier festival de Tango Queer à Montréal en juillet prochain, et le retour du 26e festival de cinéma LGBT, Image+Nation, l'automne prochain.

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Tourisme nuptial: le Québec se prive d'une part du gâteau

Même si le mariage entre conjoints de même sexe est légal au Canada depuis le 20 juillet 2005, la justice québécoise ralentit les ardeurs des touristes étrangers qui voudraient se marier dans la province.

Tant pour les gais que pour les hétéros, la loi québécoise prescrit que la publication des bans doit être faite au moins 20 jours avant le mariage. Ainsi, les touristes qui veulent se marier lors d'un séjour d'une semaine manquent de temps.

«À Toronto et Vancouver, c'est beaucoup plus facile. Tu peux arriver et te marier le même jour», explique Tanya Churchmuch, gestionnaire du marché gai et lesbien à Tourisme Montréal. La communauté LGBT espère qu'un amendement réduise le nombre de jours au minimum. «Non seulement ça simplifierait le cadre du mariage pour tous, mais ça permettrait au Québec d'obtenir une part de marché du tourisme LGBT que nous perdons depuis des années, ajoute-t-elle. À titre de comparaison, dans l'État de Washington, où le mariage gai est reconnu depuis novembre 2012, plus de 14% des mariés gais et lesbiennes ne venaient pas de l'État. Ce sont des chiffres imposants.»

Mariage gai au pied du mont Everest

Pendant que le Québec reste campé dans sa tradition juridique, les destinations internationales rivalisent d'originalité pour attirer le tourisme rose. Depuis le printemps 2012, le Népal se montre de plus en plus inclusif en invitant les homosexuels à se marier au pied du mont Everest. Une offre surprenante de la part d'un État hindou réputé conservateur.

À Vienne, en Autriche, plusieurs formules voyage incluent des mariages et des lunes de miel pour homosexuels. Le magazine gai Out Now collabore d'ailleurs avec l'office du tourisme de Vienne, qui est très actif dans le domaine des mariages à l'étranger.

De son côté, le Salon de la mariée de Montréal a commencé à promouvoir l'événement dans les médias spécialisés pour gais et lesbiennes au Canada et aux États-Unis.