Fiables, les études de retombées économiques des festivals québécois? La controverse perdure depuis longtemps, mais la question ne se posera pas cette année: les grands festivals ne mettront pas leur étude à jour comme prévu, notamment parce qu'ils n'espèrent plus une hausse de leurs subventions dans le contexte budgétaire du gouvernement Marois.

«Même si nous pouvions prouver que nous générons 20% plus de retombées économiques, c'est loin d'être sûr que le financement gouvernemental augmenterait de 20%», dit Martin Roy, PDG du Regroupement des événements majeurs internationaux (RÉMI), qui compte 25 événements comme le Festival international de jazz de Montréal, le Festival d'été de Québec, la Coupe Rogers (tennis) et Osheaga. Ainsi, la très grande majorité des membres du RÉMI ne mettra pas à jour l'étude produite en 2010 par la firme Secor, qui avait conclu à l'époque que les 22 événements du RÉMI engendraient des retombées économiques de 198 millions par année.

Pourquoi les festivals ont-ils commencé à mesurer leurs retombées économiques? À la fin des années 90, le gouvernement du Québec a créé un programme de subventions pour compenser la perte des commandites des sociétés de tabac en raison d'une décision du gouvernement fédéral. Les festivals ont ainsi dû commencer à chiffrer leur apport à l'économie avec une étude mise à jour aux trois ans. «On estime que 95% des Québécois comprennent maintenant l'apport économique des festivals», dit Martin Roy.

Une méthodologie critiquée

En 2010, les 22 festivals du RÉMI auraient généré des retombées économiques (valeur ajoutée) de 198,1 millions sur des dépenses touristiques attribuables aux événements de 330,7 millions. «L'étude de 2010 n'est pas désuète, dit Martin Roy. On peut vivre de façon réaliste avec cette étude.»

Ce n'est pas l'avis de certains économistes, qui ne se gênent pas pour critiquer les études de retombées économiques des festivals. «J'utilise la même méthodologie pour ne pas nuire à mes clients, mais ça n'a pas de bon sens et tout le monde le sait!», dit l'économiste Jean-Marc Bergevin, président de sa firme de consultation (le Bureau d'études stratégiques et techniques en économie), qui réalise une quinzaine d'études de retombées économiques par année.

«La question, c'est de savoir ce qui amène véritablement les touristes à Montréal, dit l'économiste Claude Montmarquette, PDG du Groupe CIRANO et professeur émérite à l'Université de Montréal. Il faut s'assurer de ne pas compter les retombées économiques d'un touriste six fois parce qu'il fait six activités.»

Le RÉMI dit avoir resserré sa méthode de calcul en 2010 sur cette question. Par sondage, le RÉMI évalue à 67% (contre 77% en 2007) la part des dépenses d'un touriste québécois et 33% celle d'un touriste hors Québec (contre 55% en 2007) attribuable au festival auquel il assiste. (À noter que les touristes québécois résidant à moins de 40 km du festival ne sont pas comptabilisés.) À cause de ce changement dans la méthode de calcul, les dépenses touristiques attribuables aux festivals ont été ajustées de 499 millions en 2007 à 330,7 millions en 2010. «Nous ajustons la méthodologie en fonction de la science actuelle», dit Martin Roy.

Ce changement est loin d'être suffisant aux yeux de l'économiste Jean-Marc Bergevin. «C'est la formule classique au Québec, mais ce n'est pas la bonne formule, dit-il. Il faudrait seulement compter les touristes qui ne viendraient pas au Québec sans le festival en question. Sinon, ils ont peut-être assisté à l'événement, mais ils seraient venus quand même.»

Des études facultatives pour Tourisme Québec

Si le débat revient sur la place publique depuis au moins 2009, Tourisme Québec ne veut pas trancher la question. À plus forte raison parce qu'elle n'a jamais tenu compte des études de retombées économiques dans l'attribution de ses subventions depuis sa création en 2004. En fait, Tourisme Québec ne les demande même pas, «par souci d'équité entre les petits et les grands festivals». «Ces études coûtent très cher, elles sont contestées et parfois inégales», dit Christian Desbiens, directeur des connaissances stratégiques en tourisme à Tourisme Québec.

Plutôt que de se fier aux retombées économiques, Tourisme Québec attribue le tiers de son évaluation à l'achalandage et la provenance des visiteurs. Les autres critères évalués: la programmation, la visibilité et l'importance dans l'offre touristique d'une région.

S'il passe son tour cette année, le RÉMI a l'intention de mettre à jour son étude en 2016. Trois ans qui pourraient permettre à tout le monde de s'entendre sur une meilleure méthode de calcul? «Mettons-nous au moins d'accord sur une méthode uniforme, dit l'économiste Jean-Marc Bergevin. Actuellement, chacun fait à sa tête.»

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Les retombées économiques en chiffres

22

Nombre de membres du Regroupement des événements majeurs internationaux (RÉMI), incluant le Festival international de jazz de Montréal, les FrancoFolies, le Festival Juste pour rire, le Festival d'été de Québec, la Coupe Rogers (tennis), Osheaga, le Carnaval de Québec.

3,2 millions

Nombre de visiteurs locaux (moins de 40 kilomètres de distance) ayant participé aux événements du RÉMI en 2010. Leurs dépenses touristiques ne sont pas prises en considération en raison de leur proximité.

1 million

Nombre de touristes résidant au Québec (plus de 40 kilomètres de distance) ayant participé aux événements du RÉMI en 2010. Leurs dépenses touristiques sont prises en considération à 67 %.

485 572

Nombre de touristes hors Québec résidant au Québec ayant participé aux événements du RÉMI en 2010. Leurs dépenses touristiques sont prises en considération à 33 %.

330,7 millions

Dépenses touristiques imputables aux événements du RÉMI en 2010.

198,1 millions

Retombées économiques (valeur ajoutée) des événements du RÉMI en 2010.

51,8 millions

Recettes fiscales pour le gouvernement du Québec générées par les événements du RÉMI en 2010.