Les nouvelles exigences du gouvernement du Québec en matière d'intégrité provoquent un «ralentissement inégalé» des octrois de contrats publics qui aura des conséquences sur les échéanciers et les coûts des projets d'infrastructures, selon l'Association des constructeurs de routes et de grands travaux du Québec (ACRGTQ).

La situation est particulièrement critique à Montréal, où une centaine de contrats de travaux publics de la Ville de Montréal ne pourront être attribués avant que les entreprises qui ont présenté la plus basse soumission conforme n'aient obtenu leur certificat de bonne conduite, délivré par l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Si la situation particulière de Montréal continue de faire couler beaucoup d'encre en raison de la lenteur des attributions de contrats, le cas de l'entreprise de construction TNT2, de Saint-Jérôme, qui attend son certificat de bonne conduite de l'AMF depuis quatre mois, a été qualifié d'«incroyable» par la directrice générale de l'ACRGTQ, Me Gisèle Bourque, dans une entrevue accordée à La Presse, la semaine dernière.

Cette entreprise, qui existe depuis 30 ans, a obtenu en mars dernier un contrat de 44 millions de dollars du ministère des Transports du Québec (MTQ) pour construire les quatre viaducs du nouveau boulevard Pullman, qui fait partie du mégaprojet de l'échangeur Turcot, dans le sud-ouest de Montréal.

Les travaux de construction devaient commencer le 1er mai et s'étendre sur une durée de 60 semaines, a indiqué à hier le président de TNT2, Alain Robert.

«Ça nous rend nerveux, je ne vous le cacherai pas, a dit hier M. Robert, lorsque joint par La Presse. On a une cinquantaine de travailleurs qui appellent presque chaque jour et qui ont hâte de savoir quand nous pourrons débuter les travaux. Nous ne le savons pas. Nous avons rencontré des enquêteurs, la semaine prochaine, quatre mois après le dépôt de notre demande, mais ils ne prennent aucun engagement quant aux délais.»

Sans avoir montré de signe d'impatience jusqu'à présent, le MTQ s'informe lui aussi régulièrement de l'évolution du dossier auprès de l'entreprise, dit le président de TNT2.

«Nous leur avons demandé d'appeler l'AMF pour voir s'il n'y aurait pas un moyen de faire accélérer le traitement de notre demande, a dit M. Robert, mais on nous a répondu qu'il leur est formellement interdit de faire ça. Alors, on attend. Il n'y a rien d'autre à faire.»

Le cas de TNT2 est le seul contrat du MTQ «en attente» d'approbation par l'AMF.

Départ lent

L'obtention de ces certificats de bonne conduite de l'AMF découle de l'adoption de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics, adoptée en décembre dernier par Québec. Le projet de loi 1 du gouvernement Marois prévoit que tous les contrats publics de 40 millions ou plus doivent être attribués à des entreprises dont la probité, sur plan fiscal et éthique, est certifiée par cet organisme de réglementation des marchés financiers.

La Ville de Montréal, durement écorchée par les révélations sur des stratagèmes de collusion et de corruption étalés par la commission Charbonneau, a toutefois obtenu que l'AMF aille beaucoup plus loin. La Ville a ainsi soumis 25 contrats par mois d'une valeur de plus de 100 000$ (pour un total de 100) aux vérifications de l'AMF.

À ce jour, selon un porte-parole du comité exécutif de la Ville, Jonathan Abécassis, des demandes d'autorisation ont été acheminées pour 52 entreprises qui ont soumissionné sur ses contrats. Les 13 réponses reçues en date d'hier étaient positives. Aucune entreprise n'a essuyé de refus.

Pour la Ville, dit M. Abécassis, «il ne s'agit pas de retards, dans la mesure où l'AMF ne nous a fait aucune promesse, mais d'un nouveau mécanisme qui est en train de se mettre en place. Idéalement, nous aimerions pouvoir soumettre jusqu'à 50 contrats par mois à l'AMF».

Une telle perspective effraie la directrice de l'ACRGTQ, qui affirme que le rythme des appels d'offres de la Ville est déjà beaucoup trop lent et que l'AMF «manque d'effectifs pour mener à bien son mandat».

«Le ralentissement dans les travaux est généralisé, au Québec, surtout en raison des coupes budgétaires, dit Me Bourque. Mais la situation de Montréal est anormale.»

À l'AMF, le porte-parole Sylvain Théberge affirme qu'il n'y a pas d'engorgements dans le traitement des dossiers et que les effectifs nécessaires «ont été mis en place pour faire le travail.»

«Nous arrivons à un moment où le processus prend un momentum, dit M. Théberge. Il y aura de plus en plus d'entreprises qui seront autorisées, de telle sorte qu'il y aura aussi de plus en plus de contrats où les soumissionnaires seront déjà certifiés. Le processus va aller en s'accélérant. Il faut juste le laisser prendre sa vitesse de croisière.»