Pierre-Karl Péladeau a approché la première ministre pour «servir», et elle lui a offert la présidence du conseil d'administration d'Hydro-Québec.  Aucun autre candidat n'a été rencontré. «Il n'y a pas d'autre personne qui a été approchée, a avoué Pauline Marois. C'est M. Péladeau qui m'a approché pour me dire qu'il était intéressé à servir. Et c'est moi qui ai décidé, avec la ministre des Ressources naturelles, de lui offrir cette fonction.»

Fait inusité, la décision a été annoncée ce matin. Elle a été prise au terme d'une réunion spéciale du conseil des ministres, qui s'est déroulée tôt aujourd'hui. Le conseil se réunit habituellement le mercredi après-midi.

Le président actuel doit donc quitter avant la fin de son mandat. Il recevra sa prime de départ de 125 000$. Pourquoi déloger le président actuel? «Parce que nous sommes en train de réviser la politique et la stratégie en matière d'efficacité énergétique et la stratégie d'Hydro-Québec aussi. Cette stratégie arrive à échéance cette année. Nous pensons que le nouveau président du conseil doit pouvoir contribuer à la définition de cette nouvelle stratégie», a répondu la première ministre.

«Il n'y a pas de problème de conflit d'intérêts», a-t-elle assuré. M. Péladeau quitte ses fonctions de patron de Quebecor le 8 mai. Il demeurera toutefois président du conseil d'administration. Il entre en poste à la société d'État la semaine suivante. «S'il y avait des dossiers où il pourrait risquer d'être en conflit d'intérêts, évidemment, il l'indiquera et se retirera des décisions.»

Le PDG Thierry Vandal reste quant à lui en poste.

M. Péladeau ne sera pas rémunéré. «Il renonce à la prime qui est habituellement versée au président du conseil d'administration, qui est de 125 000 dollars par année.»

Durant la dernière campagne électorale, lors de l'analyse de la fusion Bell-Astral, le couple Péladeau-Snyder s'était rapproché de Pauline Marois. Mme Snyder avait appuyé la chef du Parti québécois lors d'un grand rassemblement au Métropolis.

Mme Marois l'a qualifié d'homme «de grande envergure qui a dirigé une grande entreprise et «d' entrepreneur aguerri».

«Hydro-Québec est un des vaisseaux amiraux de notre économie. Nous croyons qu'Hydro-Québec peut participer encore davantage au développement économique du Québec, à sa politique industrielle, entre autres à une utilisation intelligente de nos surplus pour participer à l'électrification des transports», a-t-elle ajouté.

Elle veut que la société d'État joue un rôle plus important dans le développement des régions et aussi à l'international. «(Ce rôle) a été remis en question au cours des dernières années. Je voudrais qu'on revise cette orientation, pour savoir s'il n'y a pas encore un intérêt pour qu'Hydro-Québec soit encore à l'international.»

La ministre responsable d'Hydro-Québec, Martine Ouellet, dit compter son «appui pour l'électrification des transports et le développement industriel.» «Vous savez qu'actuellement, nous sommes en période de surplus d'énergie, a-t-elle poursuivi. Nous avons l'opportunité d'utiliser ces surplus pour le développement économique du Québec et des régions, et aussi revisiter le rôle d'Hydro-Québec à l'international.»

Le ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, ne craint pas de possibles conflits d'intérêts. «Des conversations ont eu lieu entre la première ministre et M. Péladeau pour faire en sorte qu'il y ait un mur de Chine entre sa responsabilité à Hydro-Québec et ses autres responsabilités», a-t-il révélé. «Cette sensibilité, pour prendre un mot à la mode aujourd'hui, elle existe, elle est là, et il faut être vigilant à ce sujet. La vigilance s'impose»

«Bonne nouvelle», selon la CAQ

Il s'agit d'une «bonne nouvelle», selon le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault. La compétence devrait être le premier critère d'embauche, et M. Péladeau y répond selon lui. Il espère que l'homme d'affaires pourra «brasser la cage», car il y aurait, selon la CAQ, 4000 emplois de trop à la société d'État. Après avoir critiqué en campagne ces propositions de coupures, Mme Marois se prépare maintenant à abolir 2000 postes. La CAQ souhaite aussi qu'on réduise de 600 millions les dépenses de fonctionnement, qui s'élèvent actuellement à environ 2,6 milliards de dollars. «Ça prend un homme d'affaires qui sait gérer serré», dit M. Legault.

La CAQ a souvent dénoncé le manque de transparence d'Hydro-Québec. Le gouvernement péquiste propose de permettre au vérificateur général d'examiner les livres de la société d'État. Le conseil d'administration actuel a souvent utilisé son veto pour bloquer cette demande, ce qu'il ne pourra plus faire avec la nouvelle loi péquiste.

«Inacceptable», tonne Khadir

Québec solidaire juge «tout à fait inacceptable» la nomination de M. Péladeau. Son député Amir Khadir dénonce le processus d'embauche.

Le démarchage fait par M. Péladeau lui-même donne «l'apparence» de quelqu'un qui «essaye de s'acheter de l'influence».

M. Khadir s'inquiète aussi pour la transparence et la liberté de presse. La concentration des médias est déjà très importante au Québec, note-t-il. Il faudrait éviter de nommer à la tête d'une société d'État un patron d'un empire médiatique pour s'assurer que les journalistes puissent jouer leur rôle de «contre-pouvoir sans aucune espèce d'attachement ou de restriction».

L'opposition aura désormais la crainte que son message ne passera pas «sans tamisage», rapporte-t-il.

Il se questionne aussi sur la compétence de M. Péladeau, qui «n'a même pas été capable de monter un plan d'affaires pour une équipe de hockey professionnel sans l'aide de l'État». Et il craint que M. Péladeau, dont les entreprises ont «déclenché 14 lock-out en 14 ans», n'importe cette méthode à la société d'État.

Le PLQ prudent

Le Parti libéral a réagi prudemment. «Tout le monde au Québec reconnait que M. Péladeau est un de nos grands entrepreneurs. Je présume qu'en nommant un dirigeant de l'une des entreprises médiatiques les plus importantes au Québec à la tête du c.a. de la plus grande société d'État de la province, le gouvernement a prévu certaines mesures particulières pour l'encadrer dans l'exercice de ses fonctions», a indiqué son chef parlementaire, Jean-Marc Fournier

Les conventions collectives des quatre grandes divisions syndicales d'Hydro-Québec arrivent à échéance l'année prochaine. Le président de la FTQ, Michel Arsenault, promet de rester vigilant.» J'espère qu'on lui a expliqué qu'il est président du conseil et non responsable des relations de travail», a-t-il dit, rappelant les conflits de travail au Journal de Montréal, au Journal de Québec et chez Vidéotron. Selon lui, «il faut donner la chance aux coureurs», mais il aura à l'oeil Hydro-Québec, «ce joyau de l'économie québécoise, le plus gros donneur d'ouvrage».

«Désagréable proximité», juge la FPJQ

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) estime que cette nomination «entretient une désagréable impression de proximité entre le pouvoir politique et médiatique».

«Même si M. Péladeau a quitté tout récemment les plus hautes fonctions du groupe de presse Québecor, il en reste un dirigeant très influent à titre de principal actionnaire et de président de son conseil», a réagi son président, Brian Myles, par voie de communiqué.

Il précise ne pas douter des compétences de M. Péladeau. Mais il croit que la première ministre «aurait du chercher ailleurs que dans les rangs des patrons de presse» pour combler ce poste névralgique. Il craint pour la liberté des journalistes, et pour la perception qu'aura le public par rapport à leur travail. Il rappelle qu'Hydro-Québec a gagné le prix de la Noirceur de la FPJQ en 2009 pour son manque de transparence.



- Avec Denis Lessard