Dans la région montréalaise, de nouvelles garderies privées poussent comme des champignons. Résultat: le tiers des places restent inoccupées. Le gouvernement du Québec a perdu le contrôle du réseau des garderies privées non subventionnées.

Les propriétaires, souvent des femmes qui ont investi des milliers de dollars pour réaliser leur rêve, seront les premières victimes de la crise. Problèmes financiers, faillites, fermetures précipitées et ventes à perte de ces garderies à 25$ et plus par jour se multiplieront au fur et à mesure que s'ouvriront les 28 000 nouvelles places à 7$ qu'a annoncées le gouvernement de Pauline Marois. Une précarité qui ne sera pas sans conséquence sur les enfants et les parents, s'inquiètent plusieurs.

«J'espère que mon rêve d'ouvrir ma propre garderie ne deviendra pas un cauchemar», soupire Isabelle Boucher, 40 ans.

Quatre mois après son ouverture, La Garderie La Marelle, rue Notre-Dame Est à Pointe-aux-Trembles, accueille 14 enfants sur les 80 places apparaissant au permis. Elle passera à 20 enfants au début de février. Son entreprise roule à perte. Trop de places ont été rendues disponibles en même temps.

En neuf mois, d'avril à décembre 2012, il s'est créé le nombre faramineux de 8500 places dans 152 nouvelles garderies non subventionnées au Québec. Depuis mars 2010, il s'est ajouté 25 000 places et 200 demandes de permis sans subvention sont en traitement au ministère, indique Sylvain Lévesque, président de l'Association des garderies privées du Québec (AGPQ).

Les garderies non subventionnées ne reçoivent aucune aide gouvernementale, mais ont besoin d'un permis du ministère de la Famille pour fonctionner et sont soumises aux mêmes exigences de qualité que le réseau subventionné.

Le ministère n'a toutefois aucun droit de regard sur la localisation des garderies non subventionnées et il doit délivrer le permis dès que le demandeur répond aux exigences.

«Le système a dérapé», n'hésite pas à dire M. Lévesque, dont l'association défend surtout les intérêts de garderies privées subventionnées. En un peu plus de dix ans, le nombre de places non subventionnées a augmenté de 2140%!

Les places non subventionnées se sont mises à pousser comme des champignons en raison du manque de places en CPE, d'expliquer Louis Senécal, directeur général de l'Association québécoise des Centres de la petite enfance (AQCPE). «Les Libéraux ont facilité l'accès au crédit d'impôt pour frais de garde (en le versant de façon anticipée tous les mois)», ajoute-t-il.

Sylvain Lévesque entrevoit des lendemains difficiles pour les propriétaires comme Mme Boucher. «Ces propriétaires ont investi beaucoup d'argent et ils sont en train de faire faillite», s'inquiète-t-il. Et les problèmes financiers auront un impact sur la qualité des services de garde.

«C'est très difficile pour les garderies non subventionnées d'aller chercher du personnel qualifié», donne-t-il en exemple. Celles-ci offrent de moins bonnes conditions de travail que les CPE et les garderies subventionnées, qui, elles, proposent un régime à prestations déterminées, la Cadillac des régimes de retraite.

Fermée, faute d'enfants

«Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si difficile, admet aujourd'hui Isabelle Boucher, ancienne éducatrice en milieu familial et en Centre de la petite enfance (CPE) ayant 14 ans d'expérience. J'ai été pendant deux mois et demi sans aucun poupon. Je n'avais pas de demande», dit-elle, encore étonnée.

Située dans un local commercial au niveau de la rue, sa garderie de près de 7000 pieds carrés sent le neuf. Les pièces sont vastes, bien équipées, avec une belle luminosité.

«Les parents veulent être à 7$», dit la propriétaire qui affiche un tarif de 38$ par jour. En dépit du versement anticipé du crédit d'impôt provincial, le coût réel revient à plus de 7$, soutient-elle.

Ouverte huit mois avant la sienne, une autre garderie privée accueille des enfants à quelques portes de chez elle. «Si demain matin, un CPE ouvre à ma porte, je ne pense pas que je vais survivre», dit-elle.

À la Garderie Verte de Saint-Lin, Radostina Ivanova a la garde de trois bouts de choux à 25$ par jour, mais son permis lui permet l'accueil de 41 enfants. «Ma garderie est resté fermée de septembre à décembre, parce que je n'avais pas d'enfants», dit-elle découragée.

Deux CPE ouvriront à Saint-Lin pour un total de 159 places d'ici 2016. Propriétaire du bâtiment, Mme Ivanova paie 1500$ en hypothèque par mois. «Souhaitez-moi bonne chance», laisse-t-elle tomber avant de raccrocher.

Mmes Boucher et Ivanova souhaitent que le gouvernement transforme leur permis en places à contribution réduite à 7$ plutôt que de payer pour créer des milliers de nouvelles places qui vont venir les concurrencer. Le gouvernement économiserait ainsi des centaines de millions en immobilisations dont il a bien besoin, font-elles valoir.

La Coalition québécoise des garderies privées non subventionnées fait signer une pétition en ce sens sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Le 12 février, les garderies privées fermeront leurs portes pour la journée.

Une proposition qui fait rager le réseau subventionné. «Les convertir ferait investir l'argent du public en un service qui ne répond pas aux intérêts de la population», avance, intraitable, Louis Senécal, de l'AQCPE. La démonstration est faite, selon lui, les garderies non subventionnées subissant un fort taux d'inoccupation malgré un contexte de pénurie de services de garde. Mais le Québec est-il vraiment en pénurie?

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L'ABC des garderies

Centre de la petite enfance

Organisme privé à but non lucratif, géré par les parents. Récommandé par un comité consultatif régional. Aménagement et exploitation: subventionnés. Places à 7$.

Responsable de garde en milieu familial

Travailleur autonome à la maison. Exploitation: subventionnée. Places à 7$.

Garderie privée subventionnée

Organisme privé à but lucratif. Récommandé par un comité consultatif régional. Exploitation: subventionnée. Places à 7$

Garderie privée non subventionnée

Organisme privé à but lucratif. Aucune subvention. Habituellement places à 25$ ou plus

par jour.