Sans le savoir, vous êtes peut-être officiellement inscrit comme associé d'un bar de danseuses nues, ou encore, d'une psychothérapeute qui gifle ses clients...

Aussi incroyable que cela puisse paraître, des Québécois ont vécu ces deux mésaventures, dont la dernière, tout récemment. Et ils ne sont pas seuls. Chaque année, des dizaines de personnes doivent se débattre pour faire rayer leur nom du Registre des entreprises du Québec. Elles y ont été inscrites à leur insu, parce qu'on a voulu leur faire une mauvaise blague, se venger, profiter de leur notoriété ou gonfler sa crédibilité sur leur dos.

Le plus inquiétant, c'est qu'elles n'en savent souvent rien, jusqu'à ce que l'entreprise en cause soit en difficulté. Puisque leur nom figure officiellement au registre, elles se retrouvent alors exposées à toutes sortes d'ennuis potentiels - dont l'obligation de se défendre contre des poursuites ruineuses si un créancier vorace veut profiter de la situation.

«À l'heure actuelle, on ne fait pas signer les gens avant d'afficher publiquement leur nom comme trésorier, administrateur ou associé d'une entreprise. Et le registraire n'exerce aucun autre contrôle. On ne protège pas les citoyens contre les gens mal intentionnés», plaide Nelly Allard, qui espère faire changer la loi grâce à la pétition électronique qu'elle a lancée lundi sur change.org.

Une association bidon

La jeune femme a découvert les ratés du système après avoir été giflée par Lisette Métayer, une supposée psychothérapeute qui prétendait la frapper pour son bien. Outrée par de telles méthodes, Nelly Allard a voulu porter plainte à l'Alliance des psychothérapeutes en science intérieure, censée chapeauter sa formatrice. Elle a alors découvert qu'il s'agissait d'une association bidon. Car outre Mme Métayer, aucun des supposés associés nommés au Registre n'avait accepté d'en faire partie, ni même été contacté à ce sujet. Il s'agissait simplement d'anciens élèves, dont certains avaient même renié ses méthodes. Et s'indignent aujourd'hui d'être publiquement liés à une femme qui attend sa sentence criminelle pour voies de fait.

«Je suis outrée! On est victime d'un système qui ne nous protège pas. On vit un grand stress», dénonce l'un des élèves lésés, qui nous a demandé de ne pas publier son nom.

«C'est insensé! C'est plus compliqué de faire enlever son nom du registre que d'y nommer n'importe qui», renchérit une autre victime.

En 2012, entre 20 et 30 personnes ont dû entreprendre des démarches pour faire corriger de pareilles erreurs, admet Revenu Québec. Malgré tout, obtenir la signature de toutes les personnes inscrites au Registre serait «difficilement applicable» compte tenu de leur nombre élevé, dit-il. Le ministère invite plutôt les personnes touchées à procéder après coup, en prouvant que l'information est inexacte et en la faisant supprimer.

Le problème, c'est que le recours administratif prévu à la Loi sur la publicité légale des entreprises coûte 106$ et peut traîner en longueur. Plusieurs mois après avoir été alertés par Nelly Allard, les faux associés de Lisette Métayer figuraient toujours au Registre. Pire encore, dans l'intervalle, tout créancier impayé (employés, fournisseurs, fisc, etc.) aurait beau jeu de se fier au Registre pour intenter une poursuite.

Une ruineuse saga judiciaire

En Ontario, Lisa Danso-Coffey a ainsi vécu une ruineuse saga judiciaire de six ans. Quand la compagnie de son frère a fait faillite, en 2004, cette femme a brutalement découvert qu'il l'avait nommée directrice à son insu. Le ministère du Revenu a invoqué sa présence au registre pour exiger qu'elle éponge une dette de 64 000$, sans se laisser ébranler par le fait qu'elle n'avait absolument rien à voir avec l'entreprise. En Cour d'appel, l'un des trois juges a écrit que le ministère s'acharnait sur elle de façon inéquitable. Mais, pour des raisons extrêmement techniques, la cour a néanmoins conclu qu'elle devrait payer la dette de son frère, à moins d'intenter un autre recours. Et lui a aussi imposé des frais judiciaires de 16 000$!

«Même si on peut contredire ce qui est au registre par tous les moyens, pour le public, ça peut se révéler bien embêtant. Et c'est vrai que n'importe qui pourrait mettre le nom de politiciens ou de gens connus comme associés», commente Me Paul Martel, auteur du livre La société par actions au Québec et conseiller spécial au cabinet d'avocats Blakes.

En Ontario, le gouvernement a changé la loi, précise l'ancien professeur. Désormais, quiconque n'a pas consenti par écrit à être nommé administrateur d'une entreprise se trouve automatiquement disculpé en cas de poursuite. Certains s'en sont prévalus avec succès, mais bizarrement, cela n'a pas empêché Revenu Ontario de s'acharner sur Lisa Danso-Coffey.

Au Québec, après réflexion, on a choisi de ne pas changer les règles, rapporte Me Martel. «La grande préoccupation, c'est d'avoir un registre efficace. On a opté pour la simplicité, la rapidité, la facilité», explique-t-il.

Une voie à explorer

Si les problèmes se multiplient, exiger la signature pourrait tout de même être une voie à explorer, estime le professeur Stéphane Rousseau, directeur du Centre de droit des affaires et du commerce international à l'Université de Montréal. «Figurer au registre peut entraîner pas mal de conséquences, fiscales ou autres», souligne-t-il.

En théorie, depuis 2011, quiconque inscrit quelqu'un au registre de façon trompeuse peut se voir imposer de 400$ et 4000$ d'amende. Mais personne n'a été puni jusqu'ici, indique Revenu Québec.

Tandis que ses faux associés attendent toujours de disparaître du registre (et ont collectivement dépensé 530$ pour y parvenir), Lisette Métayer explique qu'elle croyait avoir le droit de les nommer, parce que ceux-ci donnaient jadis la même formation qu'elle. Elle ajoute avoir fait «une erreur de forme et non de fond» et se dit «désolée».

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PAS FACILE DE VÉRIFIER

Vous voulez savoir si votre nom figure par erreur au Registre des entreprises? Au Québec, la chose est compliquée, puisqu'on peut uniquement chercher des noms de société ou de compagnies sur le site internet du registre (et non chercher des individus). C'est pourquoi les gens mettent souvent des années à réaliser l'erreur dont ils sont victimes, généralement lorsque survient un problème. D'après Revenu Québec, il faut contacter directement le registraire pour vérifier si l'on est victime d'une erreur.